Alliances
Désormais maîtresse d’un grand royaume du nord, Kriss de Valnor va devoir se battre pour rester sur son trône.
Suite de l’album « Digne d’une reine ».
Kriss doit défendre le trône qu’elle a acquis suite à la mort de tous les membres de la famille royale du Nord-Levant. Les ennemis sont nombreux, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du royaume. Comment doit-elle agir ? Comme l’aventurière sans scrupules qu’on a connu, ou avec l’humanité que semblent lui avoir rendue les Walkyries et Hildebrün ?
Cet album a paru le 11 octobre 2013.
Le dessin ci-dessous est le projet de couverture proposé par Giulio de Vita à Grzegorz Rosinski (cliquez pour agrandir). On voit que la couverture définitive est très proche de la proposition initiale. Deux dessinateurs en phase.
Kriss, sur tous les fronts
Après trois albums où elle s’est contentée de suivre le cours d’événements qui la dépassaient, Kriss est maintenant désireuse de reprendre la main. On dirait qu’elle maîtrise toutes les cartes, comme si elle se préparait à cela depuis toujours.
La malédiction des Walkyries a disparu aussi vite qu’elle avait été lancée. Le meurtre et la traîtrise sont de retour dans le quotidien de la belle aventurière, qui semble avoir oublié Hildebrün aussi vite qu’elle s’était laissée emporter par le tourbillon de leur passion inattendue.
On retrouve donc la Kriss prête à tout, encore plus sauvage et cruelle que par le passé. Elle mène le jeu avec intelligence, mais aussi avec des attitudes de psychopathe. Un petit assassinat public par ci, une petite scarification par là… Attention à l’overdose de cruauté.
Malgré cela, Kriss laisse de la place aux autres personnages dans son histoire. Chacun des deux camps se voit doté de généraux, de traîtres, de complots internes, de doutes. Du côté de Magnus, la foi en un nouveau dieu est certainement fragile, chez les nouveaux convertis. Du côté de Taljar, c’est la personnalité mystérieuse et l’âge qui posent problème.
Chez Kriss c’est différent. Personne ne veut d’elle. Alors elle prépare le terrain à sa manière, en affaiblissant, en promettant, en jouant sur l’attentisme ou les rivalités.
La couverture de l’album met en valeur l’ambition de Kriss. Ne cherchez pas la scène dans l’album, elle n’y est pas ! Mais cette femme fière, enjambant les cadavres à la tête d’une troupe de guerriers, c’est Kriss. C’est ce qu’elle veut, c’est ce qu’elle souhaite, c’est sa place dans l’Histoire telle qu’elle semble la rêver.
Une crise religieuse… ou politique ?
Deux factions armées s’opposent dans ces nouvelles aventures de Kriss de Valnor. Chacune des deux revendique sa légitimité et affirme défendre un mode de vie, des valeurs, et agir au nom d’un grand dessein attendu par les dieux.
Mais au fond, quand les prédicateurs quittent la pièce, quand les décideurs se réunissent autour de la table des guerriers, on voit que ce sont l’ambition et l’estime de soi qui mènent les peuples à une guerre fratricide.
Kriss semble à l’aise dans ce jeu, tout autant que Magnus, son adversaire. Ils savent ce qu’il faut dire, ce qu’il faut promettre, à ceux qui les suivent et qui mèneront leurs hommes à la bataille. L’enjeu religieux masque simplement un jeu de domination politique. Promesses de félicité divine pour les hommes qui vont se battre, promesses de richesse et de pouvoir pour leurs chefs. Pour ceux qui auront choisi le bon camp !
En lisant « Alliances », on pense forcément à la christianisation des peuples scandinaves, assez tardive en Europe. La religion chrétienne était connue par les Vikings, qui avaient de nombreux contacts avec les peuples christianisés. Des contacts commerciaux dans le meilleur des cas, mais aussi des contacts plus rudes au cours des expéditions de pillage. Les Vikings s’en prenaient aux lieux de culte, souvent richement dotés. Ils en ramenaient des objets et des idées.
Peu à peu, notamment grâce à leurs contacts de plus en plus fréquents avec les pays du sud, les monarques scandinaves se convertirent puis furent désireux de répandre la parole chrétienne. Certains souhaitaient ardemment convertir les peuples à leur propre foi. Pour d’autres, le prosélytisme avait surtout pour objectif de renforcer leur pouvoir sur leur peuple, notamment en se débarrassant d’opposants attachés aux croyances traditionnelles.
Appuyés par des missionnaires venus d’Angleterre ou du Saint-Empire romain germanique, on peut citer Harald à la dent bleue, roi du Danemark peu avant l’an 1000, et les rois de Norvège Olaf et Olaf II, qui imposèrent leur religion par la force.
La religion nordique perdura quand même un certain temps. Il faut dire qu’elle était apparemment peu contraignante – il n’y avait pas vraiment de règles, peu de lieux de cultes, pas vraiment de prêtres. Chacun la pratiquait selon ses envies, choisissant localement les dieux qui lui convenaient. D’une région à l’autre, les « familles » de dieux célébrées n’étaient pas les mêmes. Il n’y avait pas de règles absolues, à part le respect pour certains dieux particulièrement importants (comme Odin ou Thor) et la tenue de quelques fêtes annuelles, souvent liées à la nature, comme les changements de saison.
On pratiquait certains rites, comme le sacrifice d’animaux, en échange de bienfaits. Les cérémonies avaient généralement lieu en plein air, près d’un point d’eau. On a retrouvé des pendentifs et bijoux en forme de marteau de Thor, et des moules qui permettaient de fabriquer à la fois des marteaux de Thor et des croix chrétiennes !
Avec la disparition des anciens rites, la christianisation marqua la fin de l’ère viking, et d’un certain mode de vie. Qu’en sera-t-il dans le monde de Thorgal ? Dans l’album « Aaricia », le jeune dieu Vigrid évoquait l’importance pour les siens d’être connus, de figurer en bonne place dans la mémoire des hommes. En abordant ces thèmes politiques et religieux majeurs, la série Thorgal s’ancre davantage dans le réel mais prend aussi le risque de perdre une part de sa personnalité, de son ambiance. La partie qui se joue dans cette série parallèle aura certainement des conséquences majeures dans la série originelle. Affaire à suivre !
Qui es-tu, Jolan ?
Dans « Alliances », les retrouvailles entre Jolan et Kriss de Valnor se révèlent finalement simples, presque naturelles. On s’installe autour de la table en bons amis, on se raconte les derniers épisodes, on batifole dans la chambre. Pourtant les contentieux ne manquent pas. Jolan connaît Kriss depuis son enfance. Elle l’a enlevé (« Le pays Qâ »), elle a réduit sa mère et sa sœur en esclavage (« La couronne d’Ogotaï ») après avoir comploté pour obtenir leur bannissement (« La marque des bannis »). Elle a œuvré au cours des heures les plus noires qu’ont vécues Thorgal et sa famille.
Mais Jolan semble avoir tout oublié. Avoir décidé de tout oublier. Il semble animé par la volonté de devenir fort et puissant. Il s’est persuadé qu’il est le sauveur des peuples du nord, le messie attendu par ses dieux. Il s’estime au plus haut point et ne recule devant rien pour accomplir sa fameuse destinée.
Qui es-tu, Jolan ? Il reste en toi quelques traces du fils de Thorgal et Aaricia, du courage et des valeurs qu’ils défendent depuis toujours. Mais aujourd’hui, ce n’est plus Thorgal que l’on reconnaît en toi. Ce n’est pas non plus Leif, le grand-père adoptif, chef éclairé des hommes du nord.
Il y a sûrement un peu de Tanatloc dans ce Jolan, devenu demi-dieu au service du combat qu’il s’est choisi. Il y a du Gandalf, prêt à tout pour arriver à ses fins. Il y a aussi, peut-être, un peu de Varth, d’Ogotaï. L’autre grand-père. Celui qui, à demi-fou, se bâtit un empire dans le sang et les larmes d’un peuple ravagé.
Oui, qui es-tu, Jolan ?