Aniel
Thorgal et ses compagnons ont fui une ville en guerre, pour se retrouver perdus en mer, affamés. Blessures du corps, blessures de l’âme, le voyage de retour devient pour le groupe de naufragés une épreuve de plus. Pour certains d’entre eux, ce sera peut-être la dernière.
« Aniel » est un album particulier dans la série Thorgal. Il est le tout premier tome scénarisé par Yann, également scénariste jusqu’ici des séries Louve et La jeunesse de Thorgal. Il est aussi, surtout, le dernier album réalisé par Grzegorz Rosinski.
Le créateur de Thorgal, père de nos héros depuis les années 70, nous offre ici de dernières images, de dernières ambiances, avant de céder sa place à de nouveaux auteurs et de laisser ses personnages poursuivre leur chemin sans lui.
Voici un petit vagabondage dans l’album, une déambulation contemplative, avec quelques moments choisis ici ou là.
L’album s’ouvre sur une séquence de survie en mer. Cette première image montre la maîtrise des ombres et lumières, toujours aussi soignée, de notre dessinateur. Avec notamment un jeu saisissant de reflets dans l’eau.
En observant attentivement la proue et la poupe de la barque, on voit les traces de crayonnés initiaux, noyés dans la mer.
L’approche de la côte permet d’apporter une lumière différente, et de vous montrer comment l’auteur a choisi de marier deux techniques, une mise en couleur directe, et un encrage noir léger, au trait, qui vient délimiter certaines parties de l’image, notamment les vagues.
On peut noter aussi le rehaut blanc sur la cime des arbres et sur certaines zones du bateau.
On retrouve ces techniques sur l’image suivante. Ici, les textures sont variées, avec notamment une belle mise en couleur des arbres, et une rivière dont on ressent bien le tumulte des flots, le déplacement de l’eau, la façon dont elle reflète la lumière.
L’invité, dans cette image, n’est qu’évoqué, grâce à la vue de quelques plumes. Mais son ombre sur l’eau, qui recouvre en partie le bateau, laisse présager d’une sacrée surprise.
Oh, le voilà ! Thorgal est bien là, très présent dans l’album, avec beaucoup de scènes d’action. La mise en couleurs du vêtement lui donne du volume, de la vie. Le trait vient là aussi souligner le personnage, en complément de la couleur.
L’image suivante montre un exercice qu’apprécie Grzegorz Rosinski. La nature, sauvage, à peine domestiquée. Rosinski laisse flâner son trait, et crée avec aisance une jungle complexe. La mise en couleurs de l’eau est encore une fois une belle réussite.
Changement complet d’ambiance, avec une image à l’encrage sombre et contrasté. Le jeu des couleurs et des lumières est fabuleux. L’artiste suggère plus qu’il ne montre, et pourtant tous les personnages sont là, notamment Thorgal, pensif, au-dessus de corps qui viennent rappeler qu’on fête un massacre.
Cette image, comme beaucoup d’autres dans l’album, nous propose une BD différente, nouvelle, ambitieuse. Pour son dernier album, Rosinski se lâche et se fait plaisir. Beaucoup de petits bijoux, dans les pages de ce drôle d’« Aniel » !
Malmenée par l’histoire, la belle Salouma a quand même droit à de jolis portraits. L’émotion qui se lit sur ce visage nous permet de sentir le désarroi de la jeune femme, sans même avoir à lire ses mots.
Comme toujours, prenez le temps d’observer la mise en couleurs, et les multiples techniques juxtaposées ou superposées. Encore une très belle image.
Dans le feu de l’action ! Le cadrage joue beaucoup dans la réussite de cette scène. La lumière aussi, avec ces fuyards, étrange équipage, nettement visibles bien qu’ils soient noirs sur nuit.
La lumière est encore une fois l’un des acteurs de la scène. Le soleil rougeoyant semble enflammer les guerrières, tandis que la nuit absorbe les évadés.
Le cadrage en contre-plongée place le lecteur au cœur de la scène, comme s’il était l’une de ces guerrières, prête à lâcher sa flèche.
Autre scène d’action, nous voici au cœur d’un drôle de combat. La confusion règne ici. L’image précédente était construite sur des lignes droites, la suivante joue avec les courbes. Bien que combative, l’amazone au second plan semble absorbée par son environnement. Celle du premier plan, en revanche, semble avoir déjà perdu.
Les couches de couleurs et de traits se superposent, créant le maelström.
Terminons par un retour à la maison…
La famille est réunie autour de la table, mais pas franchement pour un bon repas. Thorgal, Aaricia et Louve autour d’une table, ça fait quand même plaisir.
La scène est construite avec de nombreuses variations de marron. Une ambiance sépia qui met en valeur les tenues plus colorées des héros principaux.
A la lecture de l’album, on pourrait en oublier la présence de nombreux amis, ramassés en cours de route et ramenés à la maison. Ils sont bien là, mais en filigrane, mis à l’écart, oubliés le temps de régler quelques petits soucis familiaux.
L’album se referme, dernière image, Thorgal. C’était l’ultime cadeau de notre dessinateur chéri qui, malgré les difficultés, les soucis de santé, a tenu à nous offrir un dernier album et à clore le long cycle d’aventures qu’il avait entamé.
Merci Grzegorz Rosinski, pour tout ce talent partagé, tout ce rêve mis en image. Les aventures de Thorgal resteront, encore et toujours, dans les cœurs et les esprits de millions de lecteurs.