Crow
Ne pouvant accepter la nouvelle vie de sa mère, Louve devient incontrôlable, au point de s’attirer la rancœur de tout son village. Jour après jour, la forêt du nord semble devenir sa nouvelle maison. Mais elle n’y est pas seule…
Le quatrième album de la série Louve a paru le 4 avril 2014.
Compliquée, la vie de famille de la petite fille ! Son père et ses deux frères sont partis depuis de longs mois. Mise au ban d’un village qui n’a pas pu pardonner, Aaricia vit désormais avec un autre homme, seule voie qu’elle a trouvée après sa tentative de suicide.
Déboussolée, Louve décide de prendre sa vie en main.
Cet album est à nouveau réalisé par Yann (scénario) et Roman Surzhenko (dessin). Avec une nouveauté, c’est le dessinateur russe qui met en couleur ce quatrième tome. Les précédents étaient colorisés par Graza, l’ancienne coloriste de Thorgal. De nouvelles couleurs pour un nouveau cycle, qui démarre sur la fracture, peut-être irréversible, entre les membres de la famille de Thorgal.
La couverture de l’album est l’œuvre de Grzegorz Rosinski, dessinateur de la série originelle. L’air résolu, farouche, mais peut-être aussi mélancolique, la petite Louve semble cachée au cœur des bois. Derrière elle, un être mystérieux semble chercher les traces de sa proie.
Voici une reproduction complète de cette belle toile.
La maison viking
Dans la famille Aegirsson, c’est la débandade !
Thorgal est parti depuis de longs mois à la recherche d’un fils illégitime, enlevé par des inconnus. Sans nouvelles de lui, Aaricia hésite à le croire mort. Épuisée par les épreuves, elle s’abandonne désormais dans les bras d’un autre. Loin de là, pas franchement inquiet du sort des siens, Jolan court l’aventure en différents mondes, tourné vers ses rêves de grandeur.
Face à l’abandon des siens, Louve est déçue et en colère. Ado avant l’heure, elle court les bois ou s’enferme dans sa chambre, et repousse l’autorité parentale, ajoutant au désarroi de sa malheureuse mère. Hé oui, Louve a une chambre ! Un refuge aux allures de caverne, sombre et isolé du monde.
Fait assez rare dans la série Thorgal, l’album explore plusieurs maisons des Vikings, nous offrant quelques instants de l’intimité domestique des hommes du Nord.
La maison viking, rectangulaire, était construite en bois, avec une couverture de tourbe et d’herbe ou d’écorce séchée. La maison pouvait être très longue, en fonction du nombre d’habitants ou de son usage. Il n’y avait généralement pas de fenêtres afin de garder la chaleur. Le sol était en terre battue. Un lambris de bois pouvait être appliqué sur les murs pour isoler du froid et de l’humidité. Dans les maisons riches, on accrochait ou posait des tapis, et le bois pouvait être sculpté, peint ou orné. Une fosse à feu permettait de chauffer et éclairer la grande pièce principale, la fumée s’évacuant péniblement par un trou pratiqué dans la couverture.
Il n’y avait pas beaucoup de meubles, l’intérieur restant rudimentaire. Des tables, des bancs, des tabourets, un coffre renfermant les objets de valeur. Le maître de maison avait généralement un siège plus confortable. Le long des murs, des banquettes — en terre, retenue par des planches et recouvertes de draps, peaux et oreillers de plumes — servaient à s’asseoir le jour et à dormir la nuit. On s’éclairait avec des lampes à huile, et un métier à tisser vertical occupait parfois un pan de la pièce.
Derrière des cloisons faites de planches de bois enfoncées dans le sol, on trouvait des pièces plus intimes, chambres et toilettes. On se lavait et se détendait dans des étuves chaudes, sortes de saunas, dans des pièces ou maisonnettes à part. Un certain confort, un cocon familial, la maison viking faisait de la famille un chaînon majeur de la communauté.
Avec ses pièces qui offrent un espace personnel à chacun, la maison de Thorgal reflète un peu l’individualisme des membres de la famille. A l’opposé de l’univers cloisonné et tristounet de la demeure des Aegirsson, la maison de la famille de Knorr est pleine de vie, au début de l’album. Elle le sera moins par la suite…
Le culte de l’objet
Les aventures de Louve, menées par le scénariste Yann, mettent au cœur des intrigues de nombreux objets. Artefacts mystérieux ou souvenirs d’enfance, ils parsèment les premiers tomes, naviguant même d’une série à l’autre puisqu’on retrouve plusieurs d’entre eux dans l’autre série de Yann, La jeunesse de Thorgal.
Ce tome met brièvement en avant la corne à baume de Thorgal, lien entre les aventures vécues par la petite fille et celles vécues par son père plus de 20 ans auparavant. Dans les épisodes précédents, il y avait eu le collier de crabes fluorescents, le bracelet de dents de dragonnet, le morceau de métal qui n’existe pas. Sans oublier le cristal de Fenrir, pris sur le corps du demi-dieu et mystérieusement disparu depuis.
On croise aussi, sans s’attarder pour le moment, le berceau des étoiles de Thorgal — la petite capsule de survie qui l’avait mené jusqu’aux côtes vikings, jusqu’aux bras de Leif Haraldson (voir « L’enfant des étoiles »). On le croyait disparu, détruit, le voilà de retour. Avec certainement un rôle majeur à jouer dans les prochains albums. Au hasard de ses pérégrinations, Louve redécouvre les mythes de son père.
Elle construit aussi ses propres mythes, notamment en s’affublant d’une tête de loup, héritée de son double sauvage (voir le tome précédent). Une tenue qui rappelle celle des Baalds (voir « La magicienne trahie ») et qui l’éloigne encore un peu de ses pairs. Rien que pour l’odeur, on devrait la laisser tranquille…
Solitaire mais désespérément en recherche d’affection, Louve se cherche un compagnon. Elle avait trouvé Avrenim, la chouette mécanique, petit personnage intriguant et original, pas encore vraiment exploité dans la série. Peut-on dire qu’Avrenim est un objet ? Peut-être, parce qu’elle disparaît ici sans heurt et sans nous manquer, simplement parce que les piles sont usées et parce que son personnage n’avait pas trouvé son utilité. Elle part, remplacée immédiatement par le petit singe qui navigue également d’une série à l’autre (sa première apparition date de « La bataille d’Asgard »). L’animal prend du galon et se trouve un nom, une histoire et une raison d’être. Après quelques tâtonnements, Louve a peut-être trouvé, enfin, le compagnon de jeu qui lui manquait.
Lycanthropie
Avec sa peau de loup et son nom, Louve semble vouloir se fondre dans sa nature animale. Vivant dans une certaine communion avec la nature, capable de se faire comprendre des animaux, elle a toujours cultivé sa différence. Une différence qui remonte à ses origines semi-extraterrestres, à sa naissance atypique — dans une tanière de loup, pour rappel — et à la vie compliquée qu’elle mène depuis toujours, de voyages en esclavages successifs.
Louve se veut enfant-loup, nourrie du rejet qu’elle ressent et qu’elle entretient. Un loup solitaire, écarté par la meute, trahi par ses parents et son frère, et maintenant pourchassé par un monstre taillé pour la chasse.
Le monstre en question est une femme aux dents lupines, inquiétante et sauvage. Superbement dessinée par Surzhenko, l’effrayante Crow — plus « crocs » que « corbeau » — est l’excellente surprise de cet album. Elle garde son mystère tout au long de l’histoire, mais la tension monte au fur et à mesure, lorsque l’on découvre ses intentions, ses capacités martiales, sa cruauté puis, enfin, sa nature.
Femme-loup bien plus que Louve ne l’est, elle est le miroir noir de la petite fille. La colère et la sauvagerie, poussées au paroxysme, rendent Crow esclave de ses émotions tout autant que du maître qui la manipule dans le noir. Louve peut avoir peur, mais pas seulement du monstre. Crow a pris le chemin du mal, portée par sa nature sauvage. A Louve d’éviter l’écueil et de trouver, dans les valeurs de sa famille et de son peuple, une route vers un autre avenir.
A suivre dans « Skald ».