Digne d’une reine
De retour sur Midgard, Kriss de Valnor se découvre vivante mais différente. Elle va devoir apprendre à vivre avec le fardeau légué par les dieux d’Asgard.
Suite de « La sentence des Walkyries ».
Réalisé par Yves Sente et Giulio de Vita, cet album a paru le 2 novembre 2012.
Après un premier cycle revenant sur l’enfance de Kriss de Valnor et sur son parcours jusqu’à sa rencontre avec Thorgal, l’aventurière ressuscitée retrouve Midgard, les hommes, et bien sûr les ennuis.
Un dessin sculpté dans le papier
Le dessinateur de Kriss de Valnor, avec son trait particulier, semble griffer le papier. Les cadrages sont bien pensés, le découpage typiquement thorgalien. La nature y est vivante, maîtresse de l’espace et des hommes. Les villes, villages et bâtisses n’y sont que des oasis humaines, émergeant de la forêt, de la brume ou de la neige.
L’album alterne les scènes de jour et les scènes de nuit, avec un encrage varié. Il y a des cases très claires, au trait fin et aux angles saillants, froides et lumineuses comme le soleil d’hiver. D’autres sont presque noires, parfois huileuses, parfois crayeuses, les ombres de la nuit semblant s’écouler sur les visages et les décors ou vouloir les grignoter peu à peu.
Les personnages de premier plan sont particulièrement soignés. Leurs visages et leurs postures traduisent parfaitement les sentiments et émotions qui les habitent, la peine, la haine, la filouterie, la peur, la douleur, l’amour…
Superbes de détails en gros plan, les visages deviennent malheureusement moins nets en arrière-plan. Parfois tout juste esquissés.
Les couleurs de Graza sont encore une fois très réussies et contribuent à la réussite visuelle de l’album.
Un western nordique
Cet album lorgne du côté du western, dans le prolongement du précédent.
Ce n’est pas la première fois dans la série (l’affrontement entre Ewing et Thorgal, dans « La galère noire », un des premiers albums, était par exemple un modèle du genre). Les grandes étendues désertiques, les cavalcades, les campements au coin du feu, les brigands au coin du bois… et cette loi du plus fort qui masque simplement l’absence de lois, et qui autorise tout un chacun à se vouloir maître du monde !
Une tendance poussée à l’extrême par Kriss, dans la dernière page de l’album, mais aussi dès la couverture.
Notre tireuse d’élite en profite pour devenir une combattante sauvage, maîtresse du corps à corps, spécialiste du bandit à la broche. Une transformation réellement étonnante, qui reste malgré tout plausible grâce aux nombreux « trous » restants dans le passé de la belle, et grâce à la férocité animale qu’on lui connaît depuis toujours.
On parle encore d’amour…
Les auteurs des Mondes continuent d’explorer les combinaisons amoureuses, une tendance vue aussi dans la série mère (avec Jolan et Idun dans « La bataille d’Asgard »). La belle Hildebrün, tout aussi farouche que Kriss, est une compagne de choix. Le scénariste s’est fait plaisir en choisissant une introduction érotique dans la tente, puis quelque peu cucul dans la gadoue. Après ces quelques jeux, on découvre un personnage profond et bien construit, qui a bâti sa vie au regard de sa différence et a apparemment choisi la solitude plutôt que le rejet.
On lui découvre un frère ignoble et intolérant, un père aimant mais qui semble se satisfaire de voir sa fille partir à l’aventure, loin des regards de la cour.
Agressive dans son approche mais lucide jusqu’au bout, Hildebrün conquiert Kriss et semble la magnétiser, au point que Kriss devienne seconde alors qu’elle n’a toujours rêvé que d’être première. Leur complicité a malheureusement peu de temps pour s’installer, le scénariste y a veillé, pour éviter d’offrir à Kriss le cocon d’affection qui pourrait la dénaturer.
Au passage on remarque que Kriss, pour la première fois peut-être, ne se cache pas, ne convoite pas, ne triche pas. Elle se livre entièrement, sans arrière-pensée, jusqu’au sacrifice final, un peu trop rapidement scellé. Plus que dans cette scène où elle aurait pu perdre la vie pour celle de sa compagne, c’est bien dans l’album entier qu’il faut chercher la rédemption de Kriss, parce que tout dans son attitude inhabituelle parle d’amour.
Son premier véritable acte d’amour, pour son fils Aniel, lui avait ouvert les portes des Walkyries. Son second acte d’amour lui offre une renaissance. Elle a les clés, qu’en fera-t-elle ?
Kriss entre dans l’Histoire
Jusqu’ici cantonnée à sa propre histoire, évidemment intégrée à l’univers thorgalien, Kriss revient sur Midgard quelques temps après sa disparition (dans le 28ème album de Thorgal, « Kriss de Valnor »). Pourquoi à ce moment précis ? Pourquoi dans les bras de la fille d’un roi opposé à « Taljar » ? Les Walkyries ont la réponse, et la donneront peut-être dans les prochains albums.
Mais la lecture de « Digne d’une reine » montre surtout que l’histoire de Kriss n’a jamais vraiment quitté celle de Thorgal. Les aventures des différents personnages semblent intimement liées, au point qu’il paraît difficile aujourd’hui de lire Kriss sans Thorgal, de lire Thorgal sans Kriss, même si le scénariste place de-ci de-là des personnages qui viennent raconter ce qui se passe dans l’autre série.
Les héros de Thorgal, menés par Yves Sente, ne trouvent plus l’aventure au détour d’un chemin, mais deviennent peu à peu acteurs des événements majeurs de leur temps. Le monde des dieux est déjà devenu le leur, et cette fois ils investissent le monde des hommes, des plus puissants d’entre eux. Rois et déesses sont désormais leurs partenaires, leurs interlocuteurs.
L’intrigue de cet album devient du coup évidemment politique. Les adversaires se jaugent, menacent et complotent, en se rendant coup pour coup. Le jeu politique est bien mené avec des références assumées à Tintin et son sceptre d’Ottokar, d’autant qu’en parallèle Kriss mène une enquête digne d’un journaliste aventurier. Elle doit ramener un sceptre, son temps est limité, ses ennemis sont au cœur du royaume, auprès du roi, et le pays voisin n’attend que cette occasion pour s’emparer du pouvoir. Et comme pour Tintin, c’est finalement un allié providentiel qui lui offre la clé de la réussite, Fhropor remplaçant Milou.
La fin de l’album est par contre bien différente, Kriss n’est pas Tintin ! D’autant que la disparition d’Hildebrün et de la malédiction des Walkyries l’autorise à reprendre le contrôle de sa vie et de ses actes.
Pour le pire ? Peut-être pas.
A suivre dans « Alliances ».