L’île des enfants perdus
Emportée par les flots lors de la bataille du Raheborg, Kriss se retrouve isolée, recherchée par les hommes de Magnus. Elle va se réfugier sur une île occupée par des enfants qui l’observent avec une étrange candeur.
«L’île des enfants perdus » est la première collaboration entre le dessinateur russe Roman Surzhenko, les scénaristes français Xavier Dorison et Mathieu Mariolle, et le coloriste italien Matteo Vattani.
Les deux scénaristes ont travaillé main dans la main, en se replongeant tout d’abord dans la lecture de la série, puis en réunissant une importante documentation — films, photographies — afin de définir l’ambiance de leur histoire, sa géographie, la flore de leur île, l’aspect de ses habitants, etc.
Une fois le concept général établi, ils ont rédigé un traitement, long résumé d’une trentaine de pages. Le traitement est divisé en chapitres et expose l’histoire, sans en aborder tous les petits détails. C’est une version littéraire du scénario. Les dialogues sont évoqués, décrits, mais pas détaillés. L’important ici est de tout comprendre de l’histoire, de décrire aussi bien l’action que l’ambiance, les sentiments, les émotions ressenties par les personnages.
Voici un extrait de ce traitement, correspondant au début de la planche 6 (page 8).
Cette méthode de travail se rapproche fortement de ce qui est pratiqué pour le cinéma ou la télévision. En se basant sur leur traitement, les deux auteurs ont ensuite écrit conjointement une continuité dialoguée, c’est à dire un découpage séquentiel de leur histoire, accompagné des dialogues.
Ici, la BD reprend la main. Le découpage est effectué planche à planche, vignette par vignette. Les dialogues sont destinés à être inscrits dans des bulles. Les seules paroles de cette scène, prononcées par un soldat de Magnus, sont notées HC, hors-champ, un procédé assez nouveau dans la série.
Le scénario est ensuite remis à Roman Surzhenko. Le dessinateur — qui travaille sur ordinateur — réalise une première esquisse à partir du texte.
On voit qu’ici, pour cette première image, il a choisi d’inverser le point de vue, tout en conservant l’essentiel de la scène. Ainsi, la barque de Kriss et Osian passe à l’arrière-plan, tandis que le bateau des hommes de Magnus occupe la moitié de l’espace de cette large case, au premier plan. Focus sur le chasseur.
Le dessinateur esquisse son histoire, planche à planche, puis l’envoie aux deux scénaristes. Ceux-ci vont étudier les images et donner leur avis. Il peut y avoir consensus, mais pas toujours ! Plusieurs aller-retours entre les auteurs seront parfois nécessaires avant que le découpage, le cadrage et les choix artistiques ne soient validés. Un travail d’équipe.
Cette seconde esquisse montre une petite avancée du travail. En dehors de quelques ombres posées sur l’eau et le ciel, et d’une pluie plus présente, on peut remarquer des changements dans la taille et la position des hommes à bord du drakkar. Par rapport à l’image précédente, le bateau semble ainsi plus grand, chargé d’une troupe plus nombreuse.
L’étape suivante, la plus longue, relève de la magie de l’artiste. Surzhenko encre son image en distribuant la lumière. On voit que les ombres et les formes de l’esquisse sont globalement respectées.
La matière définit l’encrage, très différent selon qu’il est placé sur de l’eau, de la pierre ou du bois. Ainsi, les ombres sont épaisses dans l’eau, huileuses, alors qu’elles sont très graphiques dans la pierre, et soigneusement détaillées dans les nuages. Un travail long et méticuleux, complété de traits représentant la pluie, tracés en noir ou en blanc selon la surface qu’ils découpent.
En bas à droite, la bulle est nettement délimitée. Isolée des personnages, elle est surtout là pour l’ambiance.
La planche est ensuite confiée au coloriste italien Matteo Vattani, déjà à l’œuvre sur l’album précédent de Kriss de Valnor « Rouge comme le Raheborg ». Les couleurs s’appuient sur l’encrage, et sur la distribution de lumière voulue par Surzhenko.
Le bateau de Kriss, très petit, est un peu difficile à discerner.
Voici l’ultime étape de la mise en couleurs, sans l’encrage. Par rapport à l’image précédente, on voit que les ombres sont plus fortes, plus marquées, notamment sur les rochers. Le ciel est zébré d’éclairs qui accentuent la sensation de dangerosité et mènent l’œil vers le bateau de Kriss. La voile du bateau au premier plan passe en contre-jour.
L’eau change de teinte. Elle reçoit une petite touche de vert qui la différencie plus nettement du ciel.
Et voilà l’image finale, telle qu’elle est reproduite dans le livre. Fruit du long travail et du talent des quatre auteurs, elle n’est parcourue des yeux par le lecteur que pendant quelques secondes !
Voici maintenant une planche complète, la troisième (page 5). Les différentes étapes de sa réalisation vous sont proposées ici. En complément de ce qui a été présenté ci-dessus, il y a ici deux étapes supplémentaires qui ont permis aux auteurs de définir le découpage de l’album, assez différent de celui des autres séries dessinées par Surzhenko.
Après le traitement et la continuité dialoguée, il y a ci-dessous une première esquisse proposée par le dessinateur. En retour, les scénaristes lui ont proposé un rough, sorte d’esquisse préparatoire, avec un découpage et des cadrages très différents. Le dessinateur a alors réalisé une nouvelle esquisse en se basant sur ce rough.
Les autres étapes présentent l’encrage, la mise en couleurs… jusqu’à la planche finale.