La cage
Alors qu’Aaricia se bat depuis des mois pour retrouver son mari, le retour de Thorgal la plonge dans le doute. Un nouveau combat commence pour lui : il va devoir reconquérir le cœur de sa femme et prouver qu’il mérite de retrouver sa place auprès des siens.
Une belle histoire, douce et forte à la fois, pour l’un des albums les plus intimes et émouvants de la série.
L’histoire est basée sur une réflexion pleine de bon sens : Thorgal et sa famille sont séparés depuis cinq albums — suite aux évènements tragiques de « La gardienne des clés » — et depuis presque autant d’années. Pendant cette longue période, la famille Aegirsson a vécu drame sur drame ; la souffrance, la peur et la mort ont rythmé leur quotidien.
Les retrouvailles ne peuvent donc pas être banales, elles ne sont pas anecdotiques, elles méritent bien un album !
Ce tome est le second de la série à se dérouler en grande partie dans l’île déserte occupée par les Aegirsson, après « Alinoë ». C’était il y a bien longtemps… 14 albums auparavant ! Ce n’est pas le seul retour aux sources de « La cage », d’ailleurs, puisqu’on retrouve aussi, brièvement, le petit royaume du prince Galathorn, quitté peu après la naissance de Jolan dans « La chute de Brek Zarith ».
On peut quand même s’étonner du choix de Thorgal. Pourquoi se rend-il directement dans l’île après avoir quitté Brek Zarith, alors qu’il avait laissé les siens loin dans le nord ? Le choix du cœur ? Le GPS des dieux ?
Quoi qu’il en soit, ce retour dans l’île a son importance car elle est le symbole de la tranquillité qu’ont toujours recherchée Thorgal et Aaricia. C’est là, en partie, qu’ils ont construit leur couple et élevé leur fils. Loin des hommes. D’ailleurs, violée par les hommes de Sardaz l’écorché — et trop bien connue par Kriss de Valnor… —, l’île sera quittée par la petite famille à la fin de l’album. Définitivement, cette fois.
La force d’un couple est de résister aux orages. Ici, on peut même parler de tempête !
La candeur de Thorgal, à son arrivée dans l’île, est presque amusante. Il s’imagine être reçu à bras ouverts ? Après avoir quitté sa famille pour des motifs peu clairs, après avoir pactisé avec Kriss la diablesse, après avoir réduit en esclavage et humilié sa propre famille, après avoir attaqué des villages, massacré, pillé…
La force d’un couple est sûrement, aussi, de pouvoir pardonner.
L’album est construit sur un enchaînement de scènes permettant de vivre en parallèle les aventures de Thorgal et celles d’Aariciat. Le procédé avait déjà très bien fonctionné dans la saga du Pays Qâ. « La cage » est un album très lisible, linéaire mais très efficace. On peut le décomposer ainsi :
p.3 à 8 : Thorgal à Brek Zarith
p.9 et 10 : Aaricia en mer
p.11 à 14 : Thorgal en mer
p.15 à 20 : Aaricia chez Sardaz
p.21 à 23 : Thorgal dans l’île
p.24 et 25 : Aaricia dans l’île
p.26 à 31 : Thorgal dans la cage
p.32 à 45 : Sardaz dans l’île
p.45 à 48 : Thorgal et Aaricia, ensemble, enfin
Séquence après séquence, les deux époux se rapprochent peu à peu l’un de l’autre, géographiquement d’abord, émotionnellement ensuite. Le premier trait d’union — raté ! — est la mer ; le deuxième, insuffisant, est l’île ; le troisième trait d’union est le danger… et cette fois c’est le bon ! Il faut dire qu’en cette fin d’album, Thorgal fait ce qu’il sait le mieux faire : protéger sa famille en écrasant l’adversaire.
L’amour est au cœur du mal, a dit le scénariste Jean Dufaux dans « La complainte des landes perdues », autre série de Grzegorz Rosinski.
C’est bien d’amour dont il est question ici. Avec Thorgal et Aaricia bien sûr, dont l’amour, né dans l’enfance et approuvé par les dieux, est à l’origine de la quasi-totalité de leurs aventures, pour le meilleur et pour le moins bon. Mais pas seulement…
Dans cet album, on a aussi l’amour innocent, celui de l’enfance, celui ressenti par Louve pour ce père qu’elle ne connaît pas mais qui lui inspire des sentiments profonds, nourris par sa longue absence et par les récits de ses exploits.
On a également l’amour naissant, Jolan et Lehla montrant les signes d’une affection grandissante — avec la bénédiction d’Aaricia, très nette à la page 9.
On a aussi l’amour contrarié, celui de la princesse Syrane pour le beau viking ténébreux qui vient de ramener son frère Galathorn à Brek Zarith. La pauvre subit un double râteau… mais pouvait-elle lutter contre les liens qui unissent Thorgal et sa femme ?
S’il ne fallait retenir qu’une page de cet album, ce serait certainement la page 29, transition entre les sombres retrouvailles de Thorgal et Aaricia, et l’attaque des pirates. Une journée, une semaine ? Davantage ? On ne sait pas combien de temps Thorgal a passé dans sa cage. Cette belle page, reproduite ici, ne contient aucune parole, mais les non-dits peuvent être plus forts que les mots.
Très symbolique aussi, la double page 8 et 9, où chaque dessin, chaque parole, chaque regard et chaque posture trouvent leur symétrique dans la page voisine, alors que Thorgal et Aaricia quittent en bateau, chacun de leur côté, leur havre et leurs amis, pour finalement se croiser sans se voir à la page suivante. On en reparle dans l’atelier de cette fiche album.
Dernier symbole, la scène de combat sous la pluie. On pense évidemment à la terrible explication finale de l’album « Louve », quand Thorgal règle leur compte aux hommes de Wor-le-magnifique. Encore une fois, il paraît surhumain !
La scène de « La cage », très semblable, est primordiale car elle permet à Thorgal de retrouver sa place au sein de sa famille, la place qu’il avait… à la fin de l’album « Louve », juste avant le début de ce cycle d’albums, juste avant qu’il ne décide de quitter les siens. La boucle est bouclée, avec l’impression de remonter le temps, de tout effacer pour reprendre à zéro.
Shaïgan-sans-merci meurt à cet instant car, comme Aaricia le dit si bien, Thorgal est de retour !
Il y a tout de même une différence de taille entre les scènes des deux albums : dans « Louve », Thorgal se battait seul. Ici, il est assisté efficacement par Aaricia, Lehla et Louve. Preuve qu’en son absence, sa famille s’est renforcée, endurcie, et a appris à survivre sans lui.
Cet album clôt donc le cycle de Shaïgan-sans-merci, commencé en 1992 avec « L’épée-soleil ». Ce long cycle donna envie aux auteurs — et à l’éditeur — de changer l’orientation de la série pour les albums suivants, en partie pour conquérir un nouveau public, peut-être plus impatient, plus friand d’histoires courtes. Thorgal repart donc à l’aventure pour quelques histoires en un seul tome. Il quitte sa cage !