La sentence des Walkyries
Après avoir raconté son histoire et plaidé sa cause, Kriss va maintenant savoir quel sort lui réservent les Walkyries. Saura-t-elle les convaincre que la vie a fait d’elle un monstre, et qu’elle peut encore changer ?
Suite de « Je n’oublie rien ! ».
Réalisé par Yves Sente et Giulio de Vita, cet album a paru le 9 mars 2012. Il forme avec « Je n’oublie rien ! » un court cycle de deux albums, dont l’histoire va se prolonger dans le prochain tome, annoncé pour fin 2012. Deux albums dans la même année !
Toujours lancé dans une exploration de son art, Giulio de Vita continue à faire évoluer son trait. Le dessin est nerveux, avec un trait plus griffé qu’auparavant. Parfois moins détaillées ou moins précises, les cases restent rigoureuses et équilibrées. Les personnages sont superbes et expressifs, jamais figés, avec des cadrages très cinématographiques.
A plusieurs reprises, le temps s’accélère dans l’album au sein de cases de grande dimension, dont l’une occupe deux pages, des cases où les événements, les mois, voire les années, s’entremêlent habilement.
La case ci-dessous en est un exemple très efficace, parfaitement exécuté.
Sur l’étagère du haut
« La sentence des Walkyries » est un album à ranger sur l’étagère du haut…
Un viol, des meurtres sauvages, des héros voleurs et assassins ! Voilà un album à ne pas mettre entre toutes les mains. Kriss y est souvent nue, une nudité crue, impudique ou violente, à l’image de la séduction mortelle qu’elle incarne depuis toujours.
Est-elle un monstre ? Comment la qualifier au cœur de la barbarie qu’elle traverse ? Elle subit ou fait subir tout ce qu’il y a de pire au répertoire de l’être humain, jusqu’à effleurer le suicide ou l’automutilation, solutions finales heureusement rejetées par Sigwald, même si l’avortement qu’elle choisit, tout aussi douloureux, n’est en rien réconfortant.
Les scènes fortes, déchirantes, potentiellement choquantes sont nombreuses et destinent cet album à un public averti. On peut citer l’avortement donc, et la Calédonienne sortant de la tour avec son petit fardeau sanglant dans la main. Il y a aussi le massacre dans le village, suivi du viol, deux scènes terribles au cadrage choisi et à l’encrage épais, noir, presque visqueux. Il y a cet enfant, qu’on force à assassiner son seigneur pour sauver la vie de sa mère. Et cette scène dérangeante où Kriss répand sa haine dans le village, laissant entendre que les enfants de Welgrund y sont les fragiles victimes des pulsions malsaines de leurs propres parents…
Brrrr… Quelle haine, quelle noirceur, quel pamphlet contre une humanité dégénérée, misérable et crasseuse. Une saleté partiellement nettoyée par la pluie et le feu, dans une scène finale à Welgrund où le dessin, accompagné par les couleurs de la coloriste Graza, distille fort bien ce besoin de se purifier le corps et l’âme, ressenti par la jeune fille et, à travers elle, par le lecteur.
Kriss et l’amour
La mort et la haine sont au cœur du personnage. L’amour aussi !
Tout juste sortie de l’enfance au début de l’album, Kriss se transforme sous nos yeux en une jolie jeune femme, par la magie d’un temps accéléré. Privée de repères féminins depuis longtemps et n’ayant pas vraiment vécu au sein d’une communauté humaine, la jeune aventurière semble vivre au jour le jour et se satisfaire pleinement de sa vie avec Sigwald.
Sigwald, l’homme bon et travailleur, qui se plaisait à faire rire ou rêver les spectateurs grâce à ses multiples talents, est aujourd’hui un paria rejeté par la société humaine. Un homme qui fait peur ou inspire la défiance. Pour ne pas sombrer dans la misère, on le voit dans cet album faire le choix d’un mode de vie nomade et amoral qui semble parfaitement convenir à la jeune Kriss. Les représentations artistiques cèdent peu à peu la place aux embuscades et au vol. L’entraînement au tir et à l’acrobatie devient un art du combat. On ne demande plus l’argent des spectateurs, on leur prend.
Portée par cet exemple qui n’en est plus un, Kriss s’abandonne à cette vie aventureuse, trépidante. Mais elle se découvre aussi des désirs, des émotions inconnues. Elle comprend que son corps et sa beauté désormais évidente sont aussi des armes, de séduction cette fois.
Rejetant tout et tout le monde, elle se tourne vers le seul être qui compte pour elle, Sigwald, pour qui elle ressent certainement un amour réel et profond, l’amour d’une fille pour son père… Un amour qu’elle ne comprend pas, elle qui n’a pas eu de père et qui n’a connu que la brutalité imbécile du compagnon de sa mère. Un amour partagé par Sigwald, pour qui Kriss est devenue comme une seconde chance d’être heureux après la perte de sa fille.
Alors, bien sûr, Sigwald repousse Kriss. Mais il lui promet aussi que l’amour viendra un jour pour elle. Une prophétie que Kriss aura forcément en tête quand elle rencontrera, quelques mois plus tard, un beau viking aux cheveux noirs.
Les archers en ligne de mire
Echappant à l’un des écueils qui guette les Mondes de Thorgal, « La sentence des Walkyries » ne regorge pas de références aux albums de la série mère. Tant mieux, car trop de références finirait par les rendre artificielles.
Mais l’album a pour objectif de s’insérer dans la série, et plus particulièrement de se faire le préambule de l’une des plus célèbres histoires de Thorgal, « Les archers ». C’est forcément l’une des forces de « La sentence des Walkyries ». Fondateur du mythe Kriss de Valnor, placé en tête des classements (voir l’Althing du site Thorgal.com), « Les archers » est l’album emblématique de Thorgal.
Il faut bien le dire, on oublie très vite l’histoire des Walkyries. Elles donnent leur nom à l’album, mais à part ça ? L’adolescence de Kriss nous entraîne dans son tourbillon de violence et éteint le présent en nous plongeant dans le passé.
L’hommage au 9ème album de Thorgal est si assumé que le dessinateur, Giulio de Vita, n’hésite pas à reproduire plusieurs cases des Archers pour renforcer le lien entre les deux histoires. Yves Sente, de son côté, se sert d’Arghun, des Calédoniens et de la pierre de sang pour lier son récit à celui de Van Hamme. Après cela, qu’on adhère ou non, on ne peut plus vraiment lire « Les archers » comme avant !
Pour partager le plaisir du dessinateur, voici quelques unes des cases revisitées par De Vita, suivies des dessins originaux de Rosinski.
Le chapitre clos, il faut bien en revenir aux Walkyries. Plutôt habile dans sa gestion des dernières pages, le scénariste nous propose une fin attendue dans le fond mais surprenante dans sa forme, une fin qui fait rebondir l’histoire et intrigue quant à la suite. Il en profite pour introduire un personnage qui pourrait devenir majeur dans la vie de Kriss, on le sent dans les quelques paroles échangées. Et le défi proposé à Kriss est immense. Un défi taillé sur mesure pour Thorgal, pas pour elle !
A suivre dans « Digne d’une reine ».