Le royaume du chaos
Désormais unies dans la même quête, les deux Louve se rejoignent au coeur du royaume de mort du terrible loup Fenrir.
Suite de « La main coupée du dieu Tyr ».
Voici déjà le troisième tome de la série Louve, quelques mois après la parution du précédent. Cet album marque la fin du 1er cycle des aventures de la fille de Thorgal.
Dans le tome 2, on a laissé les différents personnages dans des situations difficiles. Louve, le corps faible mais l’esprit toujours vif, traverse le royaume du loup Fenrir à la recherche de la main d’un dieu. Sa moitié sauvage est prisonnière d’un piton rocheux cerné par des eaux mortelles.
Quant à Aaricia, affaiblie moralement par les disparitions successives de ses trois enfants, elle est désormais confrontée à la pire de ses craintes, la perte de son mari.
La fin du voyage de la petite Louve et de son initiation à l’aventure est hautement spectaculaire, avec des effets spéciaux très cinématographiques. Une tendance qu’on retrouve dans tous les albums des Mondes, avec des plans, des zooms, des découpages modernes. Plongée, contre-plongée, de nombreux plans d’ensemble, mettant en valeur aussi bien les lieux que les personnages.
Des mythes revisités
La série Thorgal a ses propres mythes, mais ils s’inspirent souvent de mythes scandinaves, ou plutôt des quelques traces qui sont parvenues jusqu’à nous.
L’histoire du terrible loup Fenrir, telle qu’on la décrit dans les écrits anciens, est très proche au début de celle qui nous est proposée dans l’album précédent, « La main coupée du dieu Tyr ». Enfant du dieu Loki (vu dans « La bataille d’Asgard », tome 32 de Thorgal) et d’une géante, Fenrir était devenu si énorme et dangereux que les dieux avaient décidé de l’enchaîner. Mais aucune chaîne ne semblait capable de le retenir. On finit par trouver un lien suffisamment solide, un ruban fabriqué par les nains, artisans créateurs de nombreux objets magiques (dont le marteau de Thor, ou l’anneau Draupnir vu dans l’album « Géants »). Mais Fenrir refusa d’être à nouveau attaché, craignant à juste titre que l’objet, d’apparence fragile, ne cache un piège. Le courageux dieu Tyr accepta de placer son bras dans la gueule du loup, en gage de bonne foi. Mais le loup ne put se libérer : il écrasa le bras du dieu avec ses puissantes mâchoires. L’histoire dit que Fenrir resta attaché ainsi, fou de rage, et qu’il le restera jusqu’à la bataille finale, le Ragnarök, la fin des temps. Une bataille au cours de laquelle il vaincra Odin avant d’être abattu.
Dans Louve, l’histoire diffère. Le loup tranche la main du dieu, la conserve dans sa gueule, et l’emmène avec lui dans le royaume du chaos, après avoir brisé le lien magique fabriqué par les nains. La suite est dans ce troisième album.
Comme souvent, l’utilisation dans la série de mythes et noms mythiques connus offre des contours familiers à l’histoire. Et si la louve Raïssa est curieusement oubliée dans cet album de fin de cycle, le loup géant Fenrir replace à l’avant-scène l’animal qui a donné son nom à la petite héroïne de cette série des Mondes. Un animal sombre et dangereux, mais dont la sauvagerie et l’opiniâtreté viennent en écho de celles de la petite fille.
Avec cette histoire, l’album montre que les mythes thorgaliens, tout comme les personnages, ont changé de direction depuis le départ de l’ancien scénariste, Jean Van Hamme. Dans Thorgal et dans les séries des Mondes, les dieux occupent désormais une place majeure. Ils sont des personnages à part entière, ils interviennent dans tous les albums, ils usent de leurs pouvoirs au quotidien pour changer la vie de nos héros. Frigg surveille Thorgal, Vigrid accompagne Jolan et Aaricia, Odin juge Jolan, Freyja juge Kriss.
Exemple de cet Asgard 2.0, le changement de cap autour du Ragnarök. Renommée Ragna Rokkr dans les mythes thorgaliens, cette bataille mythique avait déjà eu lieu. Géants et dieux en étaient ressortis vivants mais affaiblis, et s’étaient retirés dans leur monde respectif. Devenus moins puissants et donc moins intrusifs, les dieux semblaient arriver au crépuscule de leur main-mise sur le monde.
Ce mythe thorgalien est réécrit dans la série Louve, au service de l’histoire. Dans Louve, le conflit final n’a pas encore eu lieu. Une rupture parmi d’autres, qui montre que la série est entrée dans une nouvelle ère et n’hésite pas à revisiter ses propres mythes.
Des personnages également revisités
La série Louve n’hésite pas non plus à retoucher en profondeur ses personnages, comme l’a été Jolan dans la série-mère, comme l’a été Kriss de Valnor dans sa propre série.
Dans ce premier cycle on a découvert une nouvelle Louve, combative et effrontée, courageuse et irrespectueuse. Sans rapport avec la petite fille pure et effacée qu’on avait connue.
Louve grandit de quelques années et sera bientôt adolescente. Ses aventures relèvent du conte, avec ses animaux parlants, ses gros monstres, ses objets magiques, ses dangers mortels contournés par le miracle de l’ingéniosité. Des mécanismes propres à cette série des Mondes, éloignés du berceau de la série-mère, et dédiés à un personnage qui n’avait pas vraiment de relief avant qu’on lui offre ces aventures.
Mais c’est Aaricia qui surprend surtout, dans ce 3ème album, au point que son histoire occulte en partie les amusantes aventures de sa fille. On le sentait venir dans les deux premiers tomes, mais que la chute est rude ! Reniant avec résolution les valeurs de courage et d’espérance qui la portent depuis tant d’albums, la belle abandonne, s’abandonne. Même isolée, même malheureuse, il est difficile de la voir s’effondrer ainsi. Elle a traversé tant d’épreuves…
Lundgen se révèle donc plus dangereux pour Thorgal et sa famille que le loup Fenrir ! Un Lundgen à qui on découvre certaines qualités, du courage au moins, au milieu de ses nombreux défauts.
Alors, bien sûr, Aaricia va rebondir, comme elle l’a toujours fait. Mais il y aura un avant et un après dans la série.
A suivre dans « Crow ».