Le sacrifice
Thorgal se meurt. Le seul être capable de le guérir s’appelle Manthor, celui qui, de son palais, gouverne l’Entremonde. Affaibli par les épreuves, Thorgal ne pourra parvenir jusqu’à Manthor qu’avec l’aide de son fils, Jolan. Mais le temps leur est compté…
Voici quelques mots sur le changement graphique majeur de la série, avec le passage à la couleur directe.
La bande dessinée est un art qui peut être abordé de bien des façons, chaque auteur ayant son approche et ses méthodes. Le résumé qui suit est donc loin d’être exhaustif et n’a pour but que de comprendre pourquoi Grzegorz Rosinski a changé sa façon de travailler sur la série Thorgal, et pourquoi « Le Sacrifice » et les albums suivants sont si différents des 28 premiers tomes de la série.
Hier…
Jusqu’à « Kriss de Valnor », Thorgal était réalisé de façon « classique » en suivant les étapes qui sont décrites ci-dessous.
Scénario
Le boulot du scénariste. Chacun ses habitudes, certains comme Jean Van Hamme sont souvent précis et directifs, d’autres laissent parfois toute latitude au dessinateur pour choisir les postures, les angles de vue, les expressions du visage, etc.
Le scénariste écrit son histoire puis la découpe, page à page, case à case. Le contenu des bulles — ou phylactères, nom donné depuis des siècles aux représentations des paroles d’un personnage dessiné — est également fourni par le scénariste, ainsi que des notes précisant l’ambiance, les tons de couleurs ou d’autres détails qui permettront au dessinateur d’entrer dans l’esprit de son collègue et de comprendre la vision qu’il a de son histoire.
Story-board
Esquisse, mise en place, le story-board permet d’avoir une idée de la composition de la planche entière (taille et disposition des vignettes, sens de lecture, emplacements des bulles et onomatopées…). A ce moment, tout est encore possible, et le résultat final pourra s’écarter largement du story-board.
Selon les auteurs, il peut être très détaillé ou très sommaire.
Crayonnés
Etape cruciale… Le dessinateur crée sa scène au crayon, place ses ombres et ses bulles, fait des essais dans les proportions et les postures des personnages. Cette étape peut-être très longue notamment pour des dessins réalistes comme ceux d’un Thorgal, car il faut recommencer jusqu’à obtenir le trait parfait !
Encrage
Au pinceau ou à la plume, le dessinateur repasse sur les traits à l’encre noire pour créer le dessin définitif. Cette étape réclame beaucoup de précision et de patience. C’est aussi à ce moment que sont parfois ajoutées des trames — beaucoup utilisées dans le manga, mais aussi parfois par Rosinski — pour griser certaines zones.
Bleu de coloriage
Le boulot du coloriste. Rosinski a mis en couleurs les albums de Thorgal pendant 20 ans, puis a passé la main à sa compatriote Graza quand il a commencé à se tourner vers d’autres projets, notamment « La Complainte des Landes Perdues », dans les années 90.
Traditionnellement, le coloriste reçoit une copie de la planche définitive et y applique les couleurs au pinceau. Mais l’ordinateur est aujourd’hui majoritairement utilisé à cette étape, depuis que la numérisation des planches est devenue la norme, et que les techniques d’impression se sont améliorées.
A ces étapes, on peut ajouter le lettrage, qui consiste à ajouter les textes des bulles, et des cartouches, cadres explicatifs très rares dans Thorgal, du type « Peu après » ou « Le lendemain… ». Le lettrage intervient à différents moments selon le dessinateur, parfois dès les crayonnés, parfois après l’encrage, notamment s’il est fait sur ordinateur. Le dessinateur n’est pas toujours le lettreur.
Rosinski a lettré la série jusqu’au 22ème épisode, « Géants ». Depuis, diverses polices de caractères proches des lettres de l’auteur ont été utilisées, désormais ajoutées par informatique. Plus uniforme, moins artisanal, moins fastidieux aussi.
Le lettrage informatique a aussi l’avantage de faciliter la traduction des albums en langues étrangères.
Aujourd’hui…
Rosinski en a assez ! Marre des crayonnés, du lettrage, de l’encrage, des lignes et des hachures.
Alors il s’évade en se lançant sur autre chose que du Thorgal. L’album « Western » par exemple en 2001, fut un joli coup d’essai. Et lorsqu’en 2003 son ami Yves Sente lui propose un scénario bâti sur mesure, l’histoire d’un peintre polonais du XIXème siècle, il saute sur l’occasion pour passer à la couleur directe.
Le résultat sur « La vengeance du Comte Skarbek » est superbe. Chaque vignette est un tableau réduit à la taille d’une case. Déroutant mais superbe.
Rosinski est emballé et envisage d’arrêter Thorgal pour se consacrer à des projets qui lui ressemblent plus… mais il se laisse convaincre de continuer la série à condition de la réaliser elle aussi en couleurs directes.
Comment travaille-t-il ?
Concrètement, les étapes des crayonnés, de l’encrage et du bleu de coloriage disparaissent. Le dessinateur se base sur son story-board pour réaliser une esquisse sur une toile, puis il attaque la couleur directement au pinceau. Le trait est plus libre, plus spontané, moins précis aussi parfois. Les couleurs sont éclatantes. Sur cet album Rosinski s’est fait plaisir grâce à la multitude d’univers que Van Hamme lui a proposée, d’une campagne pluvieuse et sinistre à un océan aux reflets d’or, en passant par le Deuxième Monde, et bien d’autres lieux encore. Pour finir, le peintre reprend la plume et dessine certains contours.
Le résultat est tout simplement magnifique. Certaines cases sont parmi les meilleures de la série, et l’album est globalement très beau.
Mais si le pinceau a donc remplacé la plume, c’est au prix d’un réalisme parfois moins évident. Les visages, notamment, sont superbes et détaillés en gros plan, plus sommaires quand on s’éloigne. C’était déjà plus ou moins le cas dans les derniers albums… on peut presque voir cela comme un parti pris artistique.
Rosinski disait il y a quelques temps « Il n’y a pas de Thorgal mieux dessinés, il y a des Thorgal différents ». Il est certain que la série a évolué en même temps que son dessinateur. Bien sûr, tout cela a surpris beaucoup de lecteurs, notamment ceux qui s’attendaient à un album « comme les autres ». Mais Rosinski nous propose ici un dessin qui lui ressemble, avec de très grands moments. Il n’y a qu’à regarder les illustrations de cette fiche pour s’en convaincre. Et à travers ces évolutions, la série Thorgal nous prouve qu’elle est bien vivante !