Les trois soeurs Minkelsönn
La famine frappe le village des Vikings du Nord et emporte chaque jour de nouvelles vies. Pour Bjorn et les autres dirigeants du clan, un sacrifice humain semble désormais un choix envisageable. Et quelle meilleure victime pour cela que l’inutile et encombrant Thorgal ?
Cet album est le premier d’une nouvelle série au sein de la collection Les Mondes de Thorgal.
La Jeunesse de Thorgal
« La jeunesse de Thorgal » est la troisième série de la collection des Mondes de Thorgal. Elle revient sur les années qui ont séparé les histoires de l’album « Aaricia » (14ème tome de la série originelle) de celle de « La magicienne trahie », premier album de Thorgal. Comment s’est déroulée l’adolescence de Thorgal et Aaricia ? Quelle fut leur vie au sein du clan des Vikings du Nord, dirigé par Gandalf-le-fou et ses hommes de main ? Comment s’est construit leur amour, un amour qui conduira Thorgal à l’anneau des sacrifiés ?
Extrait du tome 1 de Thorgal, « La magicienne trahie »
La « Jeunesse » choisit donc un chemin différent de celui de « Kriss de Valnor » et « Louve », les deux autres séries de la collection. On n’y suit pas les aventures parallèles des différents personnages de l’univers thorgalien. On revient loin dans le passé, aux sources de l’histoire, avant même qu’elle ne commence.
Avec cette nouvelle série, la collection des Mondes de Thorgal vient donc encadrer la série originelle, en nous proposant ce qui s’est passé avant et ce qui se passe après. Plutôt que d’approfondir des histoires déjà connues, la collection cherche à développer l’univers de Thorgal, vers un passé qui ne nous est pas encore connu, et vers un futur qu’il reste à écrire.
Retour aux sources
On retrouve donc avec plaisir des personnages et des lieux familiers, dessinés soigneusement, immédiatement reconnaissables. Bjorn, Hiérulf, Solveig, et bien sûr Thorgal et Aaricia.
Certains habitants du village étant absents, la galerie de personnages va pouvoir s’étoffer dans les prochains albums. Ce tri parmi les personnages, bien vu de la part du scénariste, permet de garder de la matière pour la suite.
Même s’il reste un peu de monde dans le village des Vikings du nord, les conditions climatiques terribles et la situation humaine tragique créent une sorte de huis-clos nordique. Les hommes, enfermés physiquement par le froid et moralement par la famine, deviennent comme des loups affamés dans une cage, prêts à tout pour survivre.
C’est dans ce contexte de neige et de mort qu’on retrouve les deux enfants qui seront les héros de la série. Thorgal doit approcher de ses 15 ans alors qu’Aaricia a la moitié de son âge. Le jeune garçon a été exclu du village à la mort de Leif, son père adoptif, mais a gardé le droit de vivre près de ses anciens compagnons (voir l’album « Aaricia » pour retrouver le contexte au moment où s’ouvre cette nouvelle série). La petite fille s’est prise d’affection pour lui et cherche à l’aider au quotidien.
Thorgal reste malgré tout un paria et le potentiel héritier des droits de son père adoptif, ancien chef du village. La famine devient alors un prétexte pour Bjorn, dont la haine envers Thorgal devrait être au cœur des futurs récits de cette nouvelle série.
Le décor est planté, un cadre confortable pour le lecteur qui est d’emblée plongé dans un univers connu, avec des personnages déjà définis. C’est l’un des nombreux points positifs de cet album. On se sent chez Thorgal, et on va y rester tout au long de la lecture.
Au cœur de la saga
L’album cherche à s’ancrer dans la saga Thorgal en multipliant les références à d’autres histoires, y compris très récentes.
On retrouve ainsi Frigg et ses chats ailés, Slive enfermée dans sa tour perdue, une nixe trompeuse, une intrigue très politique au sein des dirigeants du clan. Ces épisodes de l’album le tirent aussi bien vers les histoires qui le précèdent (« L’enfant des étoiles » et « Aaricia ») que vers celle qui le suit (« La magicienne trahie »).
Parallèlement, l’album se veut aussi moderne avec des dieux d’Asgard très présents physiquement, et sujets à des intrigues amoureuses telles qu’on a pu en voir dans les albums scénarisés par Yves Sente, « Le bouclier de Thor » et « La bataille d’Asgard ». Les auteurs font aussi un clin d’œil à leur autre série, Louve, avec le bracelet à dents de dragonnet porté par la petite fille. Avec certainement un objectif double : relier les séries entre elles pour renforcer leur cohérence, et inscrire l’objet dans la mythologie thorgalienne en le plaçant dans le passé et le futur des héros.
Complot contre complot
Deux groupes se forment et s’opposent au sein du village nordique. Le premier, mené par Bjorn, place d’emblée Thorgal au cœur du problème, car ses origines font de lui un bouc émissaire bien pratique. Par peur, ignorance ou xénophobie, la plupart des villageois vont s’abandonner à cette petite vengeance éphémère mais libératrice.
La venue des baleines fait diversion, mais n’empêche pas le complot de se poursuivre. En envoyant des mercenaires, Bjorn montre d’ailleurs que son père lui a bien appris le métier.
En face, trois personnages complotent également, mais pour la survie des trois sœurs Minkelsönn plutôt que celle de leurs compatriotes. Se sentant chargé d’une mission, Thorgal se lance sans hésiter dans sa quête impossible. Il montre là les qualités et défauts qu’on peut lui trouver dans la série originelle : un altruisme capable de l’entraîner dans les pires situations, pour les causes qu’il estime juste — mais également cet égoïsme qui lui fait oublier certaines conséquences de ses actes.
Ici, il choisit de sauver les baleines en sachant que cela risque de condamner les habitants de son village. Y compris son amie. Peut-être est-ce pour lui, aussi, une forme de vengeance ?
Entraînée dans l’aventure, Aaricia est l’amie de Thorgal, pas encore son amour. Mais la petite fille veut plus et se donne entièrement à son grand scalde, au risque d’y perdre la vie à plusieurs reprises. Son amie Solveig, a bien compris que l’amour rend aveugle !
Le troisième larron du complot est Hiérulf, un personnage qui s’étoffe pour la première fois dans cet album.
Garant des traditions vikings, on découvre que Hiérulf est prêtre et augure, gardien des croyances religieuses. Il est aussi médecin, quelque peu botaniste ou chimiste, grand connaisseur en beaucoup de domaines. Apparemment, il s’occupe également des enfants du village, leur cherche de la nourriture, leur enseigne son savoir.
Ce druide scandinave, polyvalent et savant, ne semble pourtant guère apprécié. Envoyé par les dirigeants vikings pour « surveiller » le règne du roi Gandalf, Hiérulf reste un étranger au village. On le craint peut-être, on le respecte sûrement, mais on le rejette aussi, notamment au sein du groupe qui dirige le clan.
Éprouve-t-il de la rancœur ? Des regrets d’être ici ? En tout cas il cautionne complètement les choix du jeune Thorgal. En faisant cela, non seulement il met en danger la vie de tous les habitants, mais il prend aussi le risque de falsifier un acte religieux et de s’opposer à la volonté d’une déesse.
Un personnage complexe, donc, qui n’a certainement pas fini de nous surprendre.
Voilà donc un album très prometteur, qui lance bien la série et, surtout, qui donne l’impression que l’histoire n’avait fait que marquer une pause depuis l’album « Aaricia », et qu’elle attendait son heure afin de reprendre son cours.
A suivre dans « L’oeil d’Odin ».