Louve
Aaricia est sur le point de mettre au monde son deuxième enfant, et elle veut qu’il naisse en pays Viking. Un pays dominé par un nouveau maître avide et cruel, Wor-le-magnifique, qui attend avec impatience le retour de l’héritière du roi Gandalf.
Jour de pluie
Album sombre et fort, « Louve » commence et se termine sous le soleil, mais l’essentiel de l’histoire se déroule sous une pluie battante, parfois de nuit. Comme souvent, Grzegorz Rosinski excelle ici dans l’exercice consistant à donner l’illusion, grâce à un dessin maîtrisé, que la pluie tombe sur nos héros.
Sur ces images en noir et blanc, on voit la malheureuse Aaricia, trempée. Ses vêtements semblent lourds, collants, humides. Ses cheveux sont collés, en pagaille. Autour d’elle, la pluie griffe le papier, avec de fines lignes noires sur les zones claires et de fines lignes blanches sur les zones encrées. Ces lignes claires ont été réalisées avec la pointe de la plume, grattant le papier afin de retrouver sa blancheur sous l’encrage noir. Ami intime du dessin, le papier se fait ici le complice du dessinateur, pour obtenir l’effet voulu.
Sur l’image suivante, on retrouve cette technique de lignes verticales, mais avec une inversion par rapport aux images précédentes. Ici, le ciel est assombri par de lourds nuages griffés de blanc, alors que le sol couvert de boue et de neige reçoit des lignes foncées.
On voit aussi que les nuages sont réalisés avec des trames (voir l’atelier de l’album « Les archers » pour avoir une présentation de cette technique) appliquées avec soin pour créer les volumes.
L’image suivante débute l’un des moments les plus forts de l’album. Celui où Thorgal reprend la main sur tout le pays viking, grâce à quelques exploits guerriers quasiment surhumains, qui vont s’enchaîner jusqu’à la fin de l’album. La pluie y est toujours aussi présente, mais dans une scène relativement claire, qui permet à la silhouette lointaine de Thorgal de faire son petit effet.
Le secret, ici, est l’utilisation de la couleur pour donner du volume à la scène et montrer que, même s’il pleut toujours autant, un rayon de soleil vient d’apparaître dans la grisaille. Ce soleil va, lentement mais fermement, reprendre l’avantage sur la pluie dans le reste de l’album. Tout comme Thorgal.
Discret mais visible, le rayon de soleil se pose sur toutes les surfaces humides de l’image. Vêtements, casques, chevaux, pierres, sol. Il suffit pour cela de quelques taches blanches ajoutées après la mise en couleur. A la peinture ou, plus simplement, au liquide correcteur. Oui, du blanco !
Le soleil se révèle, mais l’homme de l’ombre, tout là-haut dans l’image, va d’ici peu éteindre un à un les hommes de Wor-le-magnifique.
En équilibre
Attardons-nous quelques instants sur les planches 24 et 25, qui se font face dans l’album.
Thorgal et Solveig viennent de rejoindre Hiérulf-le-penseur, réfugié dans une cabane isolée. La pluie tombe à verse, l’orage est violent. Au même moment, Jolan cavale à vive allure dans le noir, à la recherche de son père. Cette scène est une pause dans l’histoire, entre plusieurs scènes d’une grande violence, stressantes, haletantes. Mais elle est construite avec une incroyable efficacité, qui la rend particulièrement remarquable.
On peut remarquer que ces deux pages en vis-à-vis se font écho l’une à l’autre, par les couleurs, les personnages et la mise en page. Ainsi, on a à gauche comme à droite le trio rouge, Hiérulf rouge, la cabane bleue, Solveig rouge, Thorgal rouge, Hiérulf rouge et Jolan bleu. Chaque plan de la première page est repris dans la seconde, avec une variation parfois légère, qui permet au lecteur de participer au mieux à la conversation. Solveig relève légèrement le menton. Hiérulf devient grave, songeur. La cabane se déplace légèrement dans la composition. Thorgal passe du calme à l’agitation, et même à la panique.
La scène joue également sur le contraste entre les cases en intérieur et les cases en extérieur. Le rouge s’oppose au bleu, la chaleur à la nuit et au froid. Le petit groupe de compagnons se recroqueville dans son abri de fortune, autour du feu et d’une vieille amitié, tandis que Jolan semble perdu, noyé dans l’immensité, la solitude et l’adversité.
Le jeu d’alternance prend fin avec les deux dernières cases, qui s’opposent encore plus résolument que les autres. En cela, les paroles de Thorgal participent autant que le dessin, tant sa demande devient cruelle quand on voit le petit garçon chevaucher au hasard, submergé par la peur. Quant au dessin, il propose à gauche un Thorgal chaud, sec, vibrant et vivant, aspergé de lumière ; dans la case suivante, le petit garçon est trempé, rayé et griffé par la pluie et la plume du dessinateur. Ses contours sont troubles, partiellement effacés, comme s’il était en train de se fondre dans son environnement hostile.
On a froid et peur, avec lui.