Mille yeux
Thorgal est séparé de ses compagnons par une puissante tempête qui brise son navire. Abordant un rivage inconnu, il doit se battre à nouveau pour sa liberté et pour sauver Jolan et Boréale. Mais obtenir de l’aide, ici, n’est pas sans risque, et le destin se charge de lui rappeler qu’il ne peut bien souvent compter que sur son courage et ses bras.
Cet atelier vous propose d’accompagner les auteurs dans leur travail de réalisation des couvertures de « Mille yeux ». Deux méthodes bien différentes vont être observées ; commençons par la couverture exclusive réalisée par Grzegorz Rosinski pour l’édition de luxe de l’album.
L’édition luxe
L’idée de cette couverture est née d’une proposition de Fred Vignaux, réalisée en numérique. En amont de la réalisation de la couverture, le dessinateur de l’album a décliné plusieurs esquisses en s’appuyant sur sa connaissance de l’histoire sur laquelle il travaillait. Parmi ces propositions, il y avait cette image évocatrice.
Comme vous le savez, ce n’est pas cette image qui a été retenue pour devenir la couverture de l’édition classique de l’album au Lombard. Mais elle est restée dans un coin de l’esprit de Rosinski.
Attiré par l’ambiance dégagée par l’esquisse de Vignaux, Rosinski s’est amusé un soir à déposer de la peinture sur une toile, dans le calme de son atelier. A grands traits larges, il a fait émerger des ombres et des lumières, tandis qu’un personnage et des éléments naturels ou architecturaux tentaient de s’extraire du maelström.
Élément crucial dans cette quête de lumière, la torche a commencé à s’accrocher à la toile.
Quelques heures, quelques jours plus tard…
Le trait s’affine. La lumière est déviée, retenue, rejetée, par les surfaces et les matières. Elle s’invite aussi à droite dans un élément qui n’était pas prévu dans l’esquisse originelle mais qui complète l’offre et remodèle le premier plan.
En arrière-plan, des figures monumentales sont sculptées dans un gris dont les valeurs évoluent sous les assauts du blanc. Un regard antédiluvien se pose sur la scène, au sein du visage impassible d’une déesse oubliée.
La toile est terminée ! Pour la finir, l’artiste a choisi de travailler la couleur plutôt que la matière. Le trait ne s’affine pas plus que nécessaire ; la couleur, par contre est déposée partout où la lumière envisage de la laisser s’épanouir. Les recoins de la pierre se parent d’ombres marron ou de touches beiges ou bleutées.
Au premier plan, l’une des idoles de pierre a disparu pour alléger la scène et libérer l’espace. Dans cet esprit d’ouverture, c’est aussi le pan de pierre, sur la droite, qui vient de quitter le champ.
Thorgal est finalement le seul élément finement détaillé. Il partage, avec la pierre aux mille yeux, le monopole sur les couleurs chaudes. Les yeux de l’un sont posés sur ceux de l’autre ; les deux s’attirent et ne vont pas tarder à se rejoindre.
L’édition prestige
Inspiré par son travail sur l’album, Fred Vignaux a continué à produire des esquisses inspirantes. Celle-ci est typique de l’ambivalence qui caractérise la vie de Thorgal : le héros, vainqueur, détient un trophée dont il ne peut rien faire. Le ciel l’appelle. Il a gagné mais sa victoire n’est que symbolique et frustrante.
Dans le même esprit, le dessinateur réalise — toujours sur tablette graphique — une autre scène qui mêle les thématiques explorées dans les esquisses précédentes. On retrouve donc la déesse muette, dont le regard impassible semble jauger l’effort, et un héros qui semble tiraillé entre le sol et le ciel. Veut-il descendre et trouver ? Veut-il monter et s’échapper ?
Moins réaliste mais très évocatrice, cette dernière esquisse modifie l’arrière-plan. L’œil extérieur est toujours là, mais ce n’est plus celui d’une statue oubliée. Une roche aux yeux de citrine dévore l’espace et pose un regard gourmand sur le héros suspendu à sa corde.
La couleur s’invite largement, y compris sur Thorgal dont l’esquisse semble partiellement absorbée par le mur lumineux. La corde scinde l’image en deux mais le regard du Viking, tourné vers le haut, donne plutôt de la verticalité à la scène.
Travaillant matière, lumière et textures, Vignaux s’attache alors à donner vie à sa pierre et à profiter du dynamisme de son héros. La lumière construit la corde avec de multiples jeux de couleur. Elle souligne aussi les contours du héros et participe à la construction des textures : tissu, fourrures, cheveux et peau.
Combattif, engagé et beau, Thorgal s’élance et refuse d’être soumis à l’entité. Cette image ne suffit pas pour comprendre contre quoi et pourquoi il se bat, mais on sait qu’il est prêt à tout donner pour s’en sortir.
Comme toujours.