Moi, Jolan
Revenu auprès de Manthor, Jolan va rencontrer de nouveaux compagnons et devoir prouver sa valeur. Au village, Aaricia ne pardonne pas à Thorgal d’avoir laissé partir leur fils. Elle décide de reprendre les choses en main.
Suite de l’album « Le sacrifice ».
Thorgal a un nouveau papa
« Moi, Jolan » marque un nouveau tournant dans la série Thorgal puisque Yves Sente remplace Jean Van Hamme au scénario.
Jean Van Hamme avait annoncé depuis longtemps ses envies d’ailleurs. Thorgal n’est pas le seul orphelin puisque la série XIII, autre locomotive de la bande dessinée, a connu son dénouement en novembre 2007 avec deux derniers albums, avant d’être reprise à son tour par Yves Sente pour un nouveau cycle d’aventures.
Après 30 ans de route auprès de son viking, Van Hamme passe donc la main, mais pas à n’importe qui. Yves Sente est à l’époque directeur éditorial du Lombard et connaît très bien les auteurs de Thorgal. Il a scénarisé pour Rosinski les deux albums de « La vengeance du Comte Skarbek », premières incursions de Grzegorz Rosinski dans la couleur directe — voir la fiche du « Sacrifice » pour une explication sur ce point. Rosinski semble d’ailleurs repartir avec une envie décuplée pour plusieurs albums de Thorgal, alors qu’il avait songé à arrêter.
D’après Sente lui-même, le choix du nouveau scénariste ne fut pas si simple. Van Hamme et Rosinski voulaient que l’esprit de la série soit préservé, que le changement se fasse en douceur. Thorgal est un héros familial, un homme quasi-ordinaire qui s’arrange pour se frotter régulièrement à l’extraordinaire. Un homme avec des valeurs, qu’il défend et que ses auteurs souhaitent défendre aussi. Alors, pendant plusieurs années, Sente a prospecté, des auteurs ont été proposés puis écartés… Jusqu’à ce que Van Hamme, après y avoir longuement réfléchi, propose carrément à son directeur éditorial de tenter sa chance ! On le comprend, le choix du nouveau scénariste fut donc avant tout un choix de cœur.
La parution de ce trentième album de Thorgal a coïncidé avec le trentième anniversaire de la création du personnage et la parution de la série complète en édition spéciale, avec une nouvelle maquette. Vous pouvez découvrir cette édition en suivant ce lien.
Voici une couverture provisoire de « Moi, Jolan » aperçue quelques mois avant la sortie de l’album. Vous pouvez jouer au jeu des erreurs pour retrouver les nombreuses retouches de la couverture définitive !
Le scénario de ce nouvel album a été écrit pendant l’été 2005. Jean Van Hamme avait déjà fait le choix, dans l’album précédent, de donner à Jolan de nouvelles responsabilités de héros. Voici ce qu’il disait alors :
Il fallait jeter un pont pour pouvoir continuer la série. Il était manifeste que Jolan allait prendre une plus grande importance. Il fallait donc l’amener vierge vers l’inconnu. De cette manière, Yves pourra meubler cet inconnu sans contrainte.
L’avenir de Thorgal, la série, s’ouvrait largement, mais l’avenir de Thorgal, le personnage, semblait devoir s’inscrire en pointillés. Il avait d’ailleurs été envisagé qu’il n’apparaisse pas dans ce trentième album… Alors il faut bien le comprendre et l’admettre, Jolan est le héros de ce qui est désormais présenté comme un nouveau cycle des aventures de Thorgal.
Les élus
Au départ, ce trentième album devait s’intituler « Les élus ».
Ce titre, qui correspondait plutôt bien au visuel de couverture, a finalement été remplacé par « Moi, Jolan ». Là aussi, il s’agissait de ne laisser aucun doute sur le nouveau statut du blondinet, qui affirme dès la couverture qu’il faudra désormais compter sur lui. Jolan va donc évoluer quelques temps sans sa famille. Avec humour, Van Hamme appelle cela « les années d’internat« .
Graphiquement, Jolan a déjà changé par rapport à l’album précédent. Il semble plus grand, son visage a mûri, ses cheveux sont plus souples. On a affaire à un jeune homme, et le changement devrait être encore plus net dans les prochains albums. Dans un mini-site promotionnel proposé par Le Lombard, on nous parle d’un Jolan de 17 ans, mesurant 1m81, célibataire et capricorne. Sacrée poussée de croissance, il va avoir mal aux articulations ! On peut même s’étonner du signe astrologique qui en ferait un enfant de janvier, alors qu’Aaricia était enceinte jusqu’aux yeux en plein été dans « La Galère noire ».
Dans « Moi, Jolan », Sente nous invite à suivre un petit groupe de héros et, en maître du jeu averti, leur propose de premières aventures pas trop compliquées. L’eau, la terre, le feu et l’air sont combattus et vaincus tour à tour. Cela permet de faire les présentations et de réunir tout ce petit monde autour d’une table, pour engager une partie certainement beaucoup plus délicate dès le prochain album. Sente a choisi des personnages qui semblent plutôt classiques pour l’instant. Il sait où il va puisqu’il a déjà écrit les grandes lignes des trois prochains albums. Gageons que les compagnons de Jolan nous surprendront davantage.
Chacun a droit a sa petite page d’introduction. On a donc Arlac, un petit duc arrogant. Celui qu’on aime détester, même si on est loin, avec ce personnage, de l’ignoble Héraclius de l’album « Le barbare ». Puis vient Draye, échappé de son monastère, disciple tatoué à la jambe artificielle, un physique qui joue en sa faveur et donne envie d’en savoir plus. On rencontre ensuite Ingvild, qui a quelques airs de Kriss de Valnor, avec sa jolie bouille, son arc et ses cheveux noirs. Sente assume d’ailleurs l’héritage en rejouant avec elle et Arlac la scène de séduction mythique de « Les yeux de Tanatloc », quand Kriss fait de Tjall son malheureux pantin. Mais Arlac n’est pas Tjall, et Ingvild n’est pas Kriss…
Enfin, on nous cache pendant 35 pages un dernier compagnon bien bourrin et individualiste, pour compléter une équipe qui semble tout droit issue d’une table de jeu de rôle.
Et Jolan ? Il suit, le beau gosse. Il accompagne, conseille et charme un peu tout le monde. Mais il ne peine finalement pas trop, il a vu pire le p’tit héros. Du coup, alors que ses compagnons s’arrachent et cravachent tout au long de l’album, Jolan nous fait tout ça bien tranquille, gardant pour lui les capacités hors normes héritées de son père — la précision à l’arc et les pouvoirs extraterrestres, notamment.
Ceci dit, il aurait eu l’air malin le héros, planté en haut de son piton rocheux, si cela n’avait pas été la solution de l’énigme finale !
Thorgal, à bout de souffle ?
Plaisantes et colorées, les aventures de Jolan n’auraient pas suffi à remplir cet album. La bonne idée de « Moi, Jolan » a été de les alterner avec l’univers gris et glacial du village viking des Aegirsson. Thorgal s’est longuement éloigné de sa famille, on sent que ses choix ne font plus l’unanimité. C’est d’ailleurs une constante depuis quelques albums. Il s’efface peu à peu au profit des autres membres de sa famille. Ici, Louve affirme qu’elle veut exister, avoir un rôle. Aaricia prend les rênes, fait des choix, s’exprime et tranche dans le vif. Aniel s’épaissit et s’assombrit.
Le pauvre Thorgal, dépassé par les événements, ne parvient plus guère qu’à se faire des cheveux blancs. Il passe l’album à se faire engueuler et à pleurer sur ses choix. Les auteurs, pressés de remplacer leur héros, semblent décidés à effacer l’indestructible viking. Le voilà qui finit l’album vautré dans la neige, assommé par une branche lâchée par sa chérie dans une scène bien improbable.
Aaricia et Thorgal ne semblent plus capables de se comprendre, leurs rapports distendus seront peut-être au cœur des prochains albums.
Pour Yves Sente, directeur éditorial du Lombard à l’époque, l’objectif était de renouveler le public de Thorgal, en proposant un héros plus jeune, dynamisé par l’éloignement des ses parents. En tant que scénariste, il réussit plutôt bien son coup et parvient à lier les deux intrigues de façon inattendue. Il fait même plaisir aux nombreux fans de Kriss de Valnor en nous livrant quelques-uns des secrets que nous attendions sur sa vie.
N’empêche, les exploits de Thorgal dans l’album « Le barbare » ne sont pas si loin, et on peut sûrement vanter les mérites de Jolan sans renoncer à la légende qu’est son père.
Le cycle de Jolan… ou d’Aniel
Trois ou quatre albums devraient donc se succéder jusqu’au dénouement de cette histoire. On en sait plus sur le passé supposé de Manthor, grâce aux bons soins d’une devineresse bien documentée. Il faut d’ailleurs noter qu’Aaricia contracte auprès de Mahara une dette dont elle devra s’acquitter un jour ou l’autre.
Malgré tout, Manthor reste une énigme. On le voit peu dans l’album. Ses pouvoir semblent immenses, son goût pour les manipulations génético-magiques peut inquiéter.
Discrètement muet, le petit Aniel pointe le bout de son nez de manière troublante. On se doutait bien que le fils de Kriss n’était pas un gosse ordinaire. Yves Sente souhaiterait l’amener à ses 10 ans à la fin de ce cycle. On sait déjà que ce jour-là sera terrible et que des choix déchirants devront être pris. Mais on sait aussi que ce jour-là, Jolan, Louve, Thorgal et Aaricia seront présents. Pour ou contre Aniel ? L’aimeront-ils suffisamment pour accepter le danger qu’il représente ?
C’est peut-être là que le nouveau scénariste de Thorgal réussit vraiment son coup. Il a bien compris l’esprit de la série Thorgal, cet esprit de famille qui unit ce petit groupe de personnages depuis 30 ans. L’histoire se met au service des personnages. Alors oui, Jolan est le héros. Il va grandir et s’épanouir loin des siens. Mais son destin, aussi exceptionnel soit-il, restera intimement lié à celui de ses proches.
Enfin, la dernière case de l’album est une bonne idée, calquée sur ce qui se fait beaucoup dans les séries télé, pour accrocher le spectateur et le faire revenir la saison suivante. Grisés que nous étions par le succès sans tache de Jolan et par sa récente émancipation, on en oubliait presque la gravité des révélations de Mahara. Eh bien non, Aaricia nous ramène à l’urgence de la situation, dans une image d’où la peur et le doute transpirent. Vivement la suite !
A suivre dans « Le bouclier de Thor ».