Rouge comme le Raheborg
L’ultime combat entre les hommes du nord et les envahisseurs venus du sud est imminent. Les Vikings, prêts à tous les sacrifices pour défendre leurs terres et leur mode de vie, sont désormais réunis sous les bannières de Kriss de Valnor et Taljar Sologhonn. Mais les motivations des deux chefs de guerre ne sont pas forcément les mêmes…
Suite de l’album « Alliances ».
Kriss semble être parvenue à ses fins. Elle a profité de la faiblesse de Jolan pour s’unir à lui et mettre ainsi la main sur la coalition des hommes du Nord. Alors que l’armée de Magnus approche, les troupes unies du roi guérisseur et du Nord-Levant forment l’ultime barrière qui protège le mode de vie des Vikings. La bataille va être décisive pour l’avenir de tout un peuple.
Nouveaux auteurs
Le cinquième tome de Kriss de Valnor est le dernier scénarisé par Yves Sente, qui vient de quitter la série. Le dessinateur, Giulio de Vita, semble s’être particulièrement impliqué dans l’histoire en adaptant certains éléments.
Un nouveau scénariste guidera Kriss dès l’an prochain, pour la suite de ses aventures.
Autre changement majeur, la coloriste Graza est remplacée par deux auteurs italiens, Matteo Vattani et Sara Spano, pour un résultat différent mais de belle qualité. Assez éloignée du rendu habituel des albums de Thorgal, la mise en couleurs est moderne, avec des textures et contrastes qui donnent du relief aux images. Un peu olivâtre, le rendu papier est inhabituel mais joli, et s’adapte particulièrement bien au dessin aiguisé de Giulio de Vita (déplacez la souris ou le doigt sur les images).
Cadeau du dessinateur, voici deux belles images des nouveaux ennemis que Kriss et Jolan doivent affronter, le terrible couple d’Auxaterra (cliquez pour les agrandir).
Ambiance guerrière
La couverture de l’album a été réalisée par Grzegorz Rosinski. Faiblement éclairés par un soleil mourant, aux couleurs chaudes et épaisses, les guerriers se mêlent en un effroyable combat. Au premier plan, La reine Kriss apparaît calme, presque rêveuse, comme détachée de ce conflit qu’elle mène. Le bleu sombre de la nuit semble l’envelopper peu à peu.
Cette belle couverture forme visuellement une sorte de diptyque avec celle de l’album « Le bouclier de Thor », où l’autre roi combattant, Jolan/Taljar, menait résolument sa troupe dans une ambiance de soleil levant. L’enchevêtrement mortel des corps au combat est traité avec des couleurs similaires.
Le soleil mourant a une influence sur le visage de Kriss et sur l’impression globale quand on regarde l’œuvre. Avec Jolan, il y avait une sorte d’élan victorieux, alimenté par le jour naissant. Pour Kriss ça semble plus compliqué…
Rites de bataille
Devenus chefs de guerre, Kriss et Taljar n’échappent pas aux préparatifs de la bataille. Tandis que les éclaireurs, les prisonniers torturés et les traîtres livrent de précieux renseignements, les dirigeants des quatre factions se préparent au combat de diverses façons.
Concentré sur une tâche dont il semble enfin comprendre la gravité et les conséquences, Jolan est dans la réflexion et l’introspection, mais aussi dans la solitude, lui qui n’a jamais su fédérer ses compagnons en leur montrant confiance ou intérêt. Les drames qui se succèdent dans l’album semblent enfin le toucher. Un frémissement dans son attitude qui augure peut-être du retour en lui des valeurs de ses parents. En tout cas, son investissement sans faille et sa réussite le placent sur une trajectoire qui peut le mener au sommet, un sommet où il risque de se retrouver bien seul.
Dans cette affaire d’égo, Kriss a toute sa place. Egocentrique mais consciente de la fragilité de sa position, elle s’amuse des atermoiements de son petit camarade et se concentre sur les bénéfices de la bataille. Mais au fond d’elle, un doute s’installe, un remord perce. Elle organise une petite cérémonie magique, pas seulement pour interroger les dieux ou réclamer la chance, mais aussi pour voyager au plus près de son âme et sonder son propre esprit.
Déçue et effrayée par ce qu’elle y voit, elle part à la bataille avec bien moins de certitude que ce qu’elle affiche.
De son côté, l’empereur Magnus accompagne ses combats de rites de bataille fondés sur sa foi guerrière. Avant la bataille, c’est par le recueillement qu’il se prépare au combat, dans une chapelle mobile qui lui sert également de coffre-fort ambulant. Attentif aux symboles qui construisent sa légende, il plante son épée dorée en haut d’un monticule de corps amassés après la bataille.
La pile de cadavres que Kriss voit en rêve et celle que Magnus escalade après chaque combat entraînent, chacune à leur façon, la chute des deux souverains. La folie de Magnus semble consommée, celle de Kriss n’est encore que latente, tapie dans ses rêves. Entre eux, le combat devrait se poursuivre dans le prochain album, mais il s’agira cette fois d’une affaire personnelle.
Les deux armées s’opposent également par leur style de combat et par leur équipement. L’armée de Magnus est ordonnée et disciplinée, bien équipée, habituée à se battre avec des stratégies éprouvées. Mieux protégés, mais aussi plus lourds et plus lents, les guerriers du sud sont mis en difficulté lors du combat dans l’eau, où leur équipement devient incommode.
Dans cet album, chez les Vikings, c’est différent. On improvise, on tire profit du terrain, on profite de la moindre faille chez l’adversaire.
L’équipement des guerriers vikings est disparate. Les hommes du Nord ne portaient pas d’uniformes et n’utilisaient pas les mêmes armes. A chacun de se procurer les armes et équipements, selon sa richesse, son rang, ses capacités. Les chefs pouvaient porter des casques en fer, des cottes de mailles. Les poignées de leurs épées étaient damasquinées d’or, d’argent, de laiton. Ils portaient de belles haches ornementées, incrustées de métaux précieux.
Chez les hommes moins riches ou influents, l’équipement pouvait être nettement plus fruste. Une épée simple, une hache. Les vêtements de protection étaient plus légers, avec des tuniques de cuir rembourrées, et des calots de cuir sur la tête. Dans l’album, on fait encore plus simple, la plupart des Vikings ont la tête nue.
Le bouclier de bois, parfois cerclé de fer ou de peau, faisait aussi partie de l’équipement de base. Il était généralement la seule protection valable du guerrier, et pouvait servir aussi bien à protéger des flèches qu’à désarmer son adversaire (voir la fiche de l’album « Le bouclier de Thor » pour une description plus complète du bouclier viking et de son usage).
Du côté de Magnus, on emploie de monumentaux trébuchets, conçus pour propulser à de grands distances des projectiles très lourds. Une guerre moderne et spectaculaire qui ne tourne pas en faveur de l’envahisseur, la faute à l’incroyable maladresse d’une troupe qui réussit à s’anéantir elle-même !
Deux héros, deux histoires
L’histoire de Jolan semble prendre fin ici. Débutée dans « Moi, Jolan » en 2007, relancée dans « Le bateau-sabre » en 2011, sa longue saga guerrière entamée dans la série mère trouve une conclusion sanglante et décisive, mais dans l’une des séries parallèles.
Naviguant ainsi d’une série à l’autre, Jolan se cherche, et devient le seul personnage principal à ne pas avoir sa propre série, son propre espace, pour ses propres aventures. L’avenir dira s’il continue ou non à occuper une partie de la scène avec Kriss. En l’état, il semble avoir les capacités et la volonté de prendre la tête de toute la nation viking ! Ce qui placerait ses ambitions à l’opposé des idéaux défendus depuis toujours par son père.
Tout aussi active, mais plus concentrée sur des objectifs personnels, Kriss cède volontiers son leadership à son jeune époux. En un sens, elle retrouve la place qu’elle affectionnait lorsqu’elle dirigeait l’éphémère royaume pirate de Shaïgan-sans-merci (voir « La marque des bannis » ou « La couronne d’Ogotaï »). A la fois dans l’ombre et la lumière, libérée des limites que lui imposent ses origines et son sexe, elle peut espérer un avenir à la hauteur de ses ambitions démesurées.
Quelques grains de sable viennent malheureusement gripper son bel ouvrage. Un peu de doute. Une once de remords. Et puis des excès, bien sûr, comme celui qui l’amène à nouveau aux portes de la mort à la fin de l’album. Mais surtout, comme un fil rouge reliant toutes ses craintes, il y a ce fils, son fils, l’enfant de son seul amour, dont le nom vient ouvrir et clore l’album, mettant entre parenthèses tous les autres événements.
Aniel.