Rouge comme le Raheborg
L’ultime combat entre les hommes du nord et les envahisseurs venus du sud est imminent. Les Vikings, prêts à tous les sacrifices pour défendre leurs terres et leur mode de vie, sont désormais réunis sous les bannières de Kriss de Valnor et Taljar Sologhonn. Mais les motivations des deux chefs de guerre ne sont pas forcément les mêmes…
Voici une nouvelle incursion dans l’atelier des créateurs de Kriss de Valnor.
En couverture
L’album présente en couverture une scène de bataille intense, où les corps des combattants se fondent en une mêlée furieuse.
Cette couverture est l’œuvre de Grzegorz Rosinski, le dessinateur de Thorgal. Ces premières images sont des esquisses préparatoires assez abouties, des tests de mise en scène. Le cadre est déjà défini, ce sera Kriss en gros plan, accompagnée de combattants, le tout dans des teintes sombres et rougeâtres.
On peut remarquer que Kriss porte sa couronne sur ces esquisses, et que sur la troisième les combattants sont à la fois devant et derrière la reine guerrière (cliquez pour agrandir).
Voici maintenant différentes étapes de la réalisation de la couverture définitive. L’esquisse initiale nous propose la belle Kriss en plein écran.
Malgré ses nombreuses apparitions dans la série originelle, Kriss n’avait eu droit qu’à un seul gros plan en couverture, pour « Le pays Qâ ». A signaler également, Kriss est en couverture de tous les albums de sa propre série. C’est loin d’être le cas pour Thorgal.
Sur l’image suivante, quelques éléments commencent à être évidents : une tête couronnée, un éclairage de dos, un visage sombre et fermé.
L’arrière-plan reste pour le moment mystérieux, notamment la source de lumière.
Le visage se dévoile sous des tons bleutés, la lumière semble venir d’un feu brûlant. L’arrière-plan semble se remplir d’ombres mouvantes.
La couronne se réduit et prend la forme de créneaux. Les cheveux sont nattés, tenus par un assemblage de bijoux souvent vu sur la belle.
Sur l’image suivante, les couleurs se précisent, l’arrière-plan également.
Les ombres sont pratiquement posées sur le visage. La couronne, imposante, occupe beaucoup d’espace.
Nous voici maintenant bien plus loin dans l’évolution de l’œuvre. Il reste du travail, mais des choix ont été faits et globalement on y est presque.
L’arrière-plan est donc une zone de guerre. La lumière semble venir d’un incendie ou d’un jour mourant.
L’autre nouveauté marquante à cette étape, en dehors de la beauté de Kriss, c’est bien sûr l’absence de couronne. Elle occupait une place importante dans l’image précédente. Au-delà de l’aspect visuel moins lourd, l’absence de la couronne a aussi l’avantage de nous proposer une Kriss à l’ancienne. Un peu le retour de l’aventurière que l’on a connue. Ici, elle fait davantage penser à un chef de guerre qu’à une monarque. Il y a du sauvage et du sombre dans cette couverture, superbe encore une fois.
Et voici la version finale. L’évolution porte surtout sur le niveau de détail et les couleurs moins chaudes. A priori, pas d’incendie, on est sûrement plutôt sur une lumière naturelle.
L’expression de Kriss est moins hautaine que sur l’image précédente. Presque impassible, voire songeuse. Elle semble très détachée de ce qui se passe en arrière-plan.
On peut aussi remarquer que le découpage de la toile va faire pratiquement disparaître, sur l’album, la fibule ouvragée qui tient le vêtement de la belle.
L’histoire d’une planche
Les premières planches de l’album nous mènent au cœur d’une vision onirique, provoquée par un mage à la demande de Kriss, à la veille de la bataille.
Nous entrons maintenant dans l’intimité du dessinateur Giulio de Vita, dans les secrets de son atelier. Nous allons suivre la réalisation de la deuxième planche de l’album.
Cette première étape est l’esquisse initiale. Le découpage des cases est tracé sommairement. Le crayon joue avec les formes et les postures. Relâché, le geste entraîne le tracé au-delà des limites de la case.
Dans la troisième case, très grande, une ligne droite a été tracée pour placer un horizon fictif. Cette ligne place les yeux du spectateur à hauteur d’un monticule, sous les protagonistes de la scène.
Cette deuxième étape nous montre une planche déjà bien avancée. Le crayonné est davantage placé, des choix ont été faits. L’encrage a commencé par le contour des cases. Le dessinateur navigue d’une case à l’autre, concentré notamment sur l’effroyable empilement des corps dans la case du bas.
Le cadrage de la troisième case est confirmé : tout en étant placé au cœur de la scène, le lecteur ne sera qu’un spectateur impuissant, incapable de venir en aide à la reine viking.
Kriss apparaît enfin. Le cadrage de la scène est désormais visible : en plongée dans la première case, elle passe en contre-plongée dans la troisième. La sensation d’écrasement est déjà nette, le cauchemar se met en place. La pile macabre est terminée, avec un encrage qui place les sources lumineuses du dessin.
Le rire du sanglier attaque les bords de la deuxième case, renforçant la sensation de malaise.
La deuxième case est terminée, le crayonné a été effacé. Dans la première image, des corps et des visages commencent à apparaître aux pieds de l’héroïne. Parmi eux, on peut déjà reconnaître Althar, frère d’Hildebrün, que Kriss a tué à la fin du tome 3 « Digne d’une reine ». Enfoncé dans la gorge du prince, le poignard de Kriss reste le témoin du meurtre.
L’encrage s’est concentré sur la troisième case, avec notamment les volutes des nuages à droite, qui permettent à la déesse d’émerger du chaos sur son char volant. A gauche et au centre, les cheveux de la Walkyrie se répandent en tous sens sur le ciel, tels des lianes ou de gigantesques serpents. Le visage inquiétant de la guerrière céleste a bénéficié d’un crayonné précis, qui a défini ses formes et son expression.
Et voici la planche terminée. La première et la troisième case se répondent, nous plaçant tour à tour dans le sillage de la Walkyrie puis dans celui de Kriss. Pour l’instant, seul le rire malsain du sanglier vient rompre le silence. Griffues et déformées, les mains de la Walkyrie semblent avoir déchiré le ciel épais. La pile de cadavres semble être proche de l’effondrement.
Face au démon venu de son propre esprit, Kriss reste vaillante, armée d’une épée et d’un simple bouclier. Mais le combat semble déjà perdu.