Runa
L’été a ramené la prospérité dans le village des Vikings du nord. Alors que Thorgal, à l’écart du village, rumine sa colère et s’entraîne seul au maniement des armes, Gandalf s’apprête à annoncer à Aaricia une nouvelle qui pourrait bouleverser sa vie d’enfant.
L’album « Runa » est le troisième tome de la série La jeunesse de Thorgal. C’est aussi, déjà, le huitième album réalisé par le duo Surzhenko-Yann, également à l’œuvre sur la série Louve. Il a paru le 3 avril 2015.
Les deux séries ont aussi pour point commun de se dérouler dans le village des Vikings du nord, que la série originelle avait en fait rarement pris le temps de visiter. On connaît peu ses habitants, aussi bien ceux d’aujourd’hui que ceux d’hier. Cet album offre donc l’occasion d’une part de retrouver des personnages connus, parfois disparus depuis, d’autre part de rencontrer des villageois ne s’étant pas encore illustrés.
Cet album ouvre un nouveau cycle, de nouvelles aventures. Du temps a passé depuis « L’oeil d’Odin », le tome précédent. On avait quitté un village exsangue, survivant douloureusement à un hiver terrible. On le retrouve plein de vie et de joie, au cœur d’un bel été et d’une prospérité retrouvée.
Des personnages connus
La Jeunesse de Thorgal retourne aux sources de la série, avant les événements de « La magicienne trahie ». On s’attend évidemment à revoir des visages connus, des personnages disparus. L’érudit Hiérulf-le-penseur, la bonne copine Solveig, et Bjorn, le frère d’Aaricia, ont fait leur retour dans le cycle précédent.
Le grand absent était Gandalf-le-fou, le mythique méchant originel. Le personnage est passionnant, très important pour la série, parce que ses liens familiaux avec Aaricia font de lui le méchant ultime, celui contre qui Thorgal ne peut rien. Le père de son amie ! Le roi de son peuple !
Gandalf réapparaît donc, avec son physique marqué par une improbable coiffure, cheveux longs et brosse, bandeau de footballeur. Roman Surzhenko s’est amusé à recréer un personnage au tempérament explosif. Le fier guerrier Gandalf a pris de l’embonpoint, dans le luxe de sa chaise royale. Impulsif et porté sur la boisson, il se révèle ici bien peu capable, au point qu’on peut se demander comment il parvient à se maintenir au pouvoir.
A ses côtés, Bjorn est un souffre-douleur sans talent, inspiré par son père mais incapable de lui plaire. Aaricia montre plus d’énergie et d’indépendance que son frère. Désespérément faible, Bjorn passe son temps à tomber au sol. Cinq fois ! A chacune de ses apparitions dans l’album.
Il sera intéressant de suivre son parcours dans les prochains tomes, pour voir si Thorgal ne serait pas, au fond, plus proche du fils idéal pour Gandalf que ne l’est Bjorn.
L’autre personnage que l’on retrouve avec plaisir est Fural, l’étalon noir, le fier cheval indomptable qui deviendra l’unique compagnon de jeunesse de Thorgal. La couverture lui donne la vedette, et l’album construit peu à peu la relation unique qui va lier l’étalon et le Viking. Malgré, ou grâce à leur tempérament indépendant et sauvage, les deux nouveaux camarades se découvrent, s’apprivoisent et s’entraident.
Seul Jorund-le-taureau manque à l’appel pour l’instant. Une affaire à suivre.
Jeux vikings (2)
Lorsque la fête commence, des hommes de différents clans s’affrontent lors de jeux particulièrement musclés. Une compétition de lutte viking s’est improvisée, tandis que des joueurs s’opposent dans un jeu de balle et de batte. Ils en profitent surtout pour se battre violemment !
Les Vikings étaient joueurs, et pas seulement dans le cadre de compétitions physiques (voir l’article à ce propos dans la fiche de « L’île des mers gelées »). On découvre dans l’album un jeu de table, dont Gandalf tente péniblement de maîtriser les bases sous l’enseignement de Hiérulf.
Il est tout à fait possible qu’un roi viking ait joué aux échecs. Le jeu est très ancien, pratiqué notamment dans le monde arabe, avec des règles fluctuantes. Des marchands ou voyageurs scandinaves auraient pu en rapporter les règles jusqu’aux terres du nord, car les Vikings appréciaient les jeux de société.
Le jeu de Gandalf est très beau, finement décoré, avec des pièces sculptées. On a retrouvé de tels jeux, avec des plateaux élaborés, superbes, ainsi que des pions en ivoire, des dés, des jetons. Plus simplement, des morceaux d’os ou de poterie, voire des cailloux, pouvaient servir à jouer sur un damier tracé à même le sol ou gravé dans une pièce de bois. La plupart des règles de ces jeux ont disparu, oubliées par la tradition orale. Il semble que les Vikings appréciaient les jeux dans lesquels les forces sont déséquilibrées, quand un roi et quelques pions affrontent une armée de pions envahisseurs.
Dans la série Thorgal, on pense bien sûr à la partie de dames qui opposa le père des nains, Ivaldir, au sournois serpent Nidhogg, dans l’histoire « Le métal qui n’existait pas » (7ème album, « L’enfant des étoiles », par Rosinski et Van Hamme).
Le jeu permet à Gandalf d’arranger le mariage de sa fille sans que les autres prétendants ne soient publiquement rejetés. Le mariage arrangé était parfaitement la norme chez les Vikings, afin d’éviter l’affaiblissement de tout un clan. L’affaire devenait financière et politique, avec parfois d’âpres négociations. Et l’amour dans tout ça ? Il venait parfois par la suite, mais pas toujours.
Il sera intéressant de voir dans le prochain album comment Aaricia va réussir à éviter d’être mariée à l’un de ses prétendants, et à repousser leurs avances pour plusieurs années. Un autre jeu viking.
L’enfant perdu
Sans vraiment s’en aller, Thorgal a dû quitter son village, par la volonté de Gandalf (voir l’album « Aaricia »). Fils adoptif du chef viking Leif Haraldson, il a certainement grandi dans un certain confort, sous le regard envieux des rivaux de Leif et des enfants moins favorisés.
A la mort de Leif, son âge et ses origines inconnues ne lui ont pas permis de prétendre à la succession de son père. Ses terres, ses biens, tout lui a été retiré. Il serait mort sans l’intervention d’Aaricia.
On voit dans l’album que sa présence dans le village est tolérée. Il n’est pas un ennemi, pas même un opposant — il est juste étranger. Le monde viking l’a accueilli mais pas accepté. On peut lui imaginer quelques amis, dont bien sûr Hiérulf et Aaricia. Mais il reste le paria déposé par les eaux et écarté par l’actuel roi des Vikings du nord.
Alors il a construit sa vie seul, isolé dans une cabane à l’écart du village. Les années ont passé. Il a vécu en survivant, hiver après hiver, en forgeant son corps pour devenir fort et résistant. Il s’est habitué à la solitude, mais la rancœur est ancrée en lui. Aaricia, avec ses robes et ses cheveux lumineux, son sourire et ses attentions, est peut-être la seule raison qui le pousse à rester. Mais cet album marque un tournant dans leur relation.
Et ce tournant a lieu en un endroit hautement symbolique, intimement lié à la saga Thorgal et à leur couple, le sombre rocher où se trouve l’anneau des sacrifiés. C’est là où Gandalf mènera Thorgal, quelques années plus tard, pour punir les jeunes gens, pour effacer leur amour et leur désir d’ailleurs.
Extrait du premier album de Thorgal « La magicienne trahie » (Rosinski – Van Hamme)
Au pied du rocher maudit, les jeunes amoureux scellent le pacte qui va les unir pour toujours. Un pacte d’amour, l’acte fondateur qui les mettra sur la route quelques années plus tard, et les entraînera dans les aventures terribles et merveilleuses que nous connaissons bien.
A suivre…