L’enfant des étoiles
Avec l’accord des Éditions Milan et de l’auteur (merci à eux !), voici trois extraits de la première adaptation en roman des albums de Thorgal, dans « L’enfant des étoiles », paru en 2009.
Dans ce premier extrait, on retrouve une célèbre scène de l’album éponyme de Van Hamme et Rosinski. Leif et Gandalf s’affrontent au sein d’une mer déchaînée, prête à les engloutir. Cette scène, bien qu’adaptée de la BD, développe d’une façon inédite les raisons de l’antagonisme qui règne entre les deux hommes forts des Vikings pendant la première partie du roman.
– C’est ta faute ! Un homme aux cheveux blonds et au cou de taureau avait rejeté son plaid et se dressait à présent, le doigt tendu vers Leif. Gandalf-le-fou ! Trapu, il s’était campé, les pieds enracinés au fond du drakkar. – C’est ta faute, Leif Haraldson, reprit-il d’une voix forte qui parvenait à peine à couvrir le fracas de la tempête. Tu nous as bernés avec tes rêves de conquêtes et d’aventure ! Tu nous as menés droit vers une mort sans combat et sans gloire ! Où sont-ils les trésors dont tu parlais avec tant de ferveur ? Les trouverons-nous dans le ventre des poissons qui se régaleront de nos chairs ? Dans les yeux gris de Gandalf dansait cet éclat malsain qui lui valait son surnom. Au combat, il avait maintes fois démontré qu’il était insensible au feu comme au fer ; son courage n’avait d’égal que sa sauvagerie, la sauvagerie de ceux que la raison abandonne, une sauvagerie bien proche de la rage des Bersekirs. Depuis longtemps déjà, se targuant du nombre d’hommes qu’il avait tués lors des raids et des campagnes, Gandalf contestait l’autorité de Leif. Pas une assemblée où il ne lui tenait tête ou ne tentait de le tourner en dérision ; il lui reprochait de laisser vivre la communauté sur les récoltes et l’élevage, de transformer les guerriers en fermiers. C’est en partie ce qui avait décidé Leif à organiser cette expédition. Et ce n’était pas par hasard qu’il avait tenu à ce que Gandalf navigue sur le même drakkar que lui, il tenait à le garder à l’œil. Mais à présent, ils étaient tous perdus et très bientôt, c’est à Aegir, le dieu de la mer, qu’ils devraient rendre des comptes. – Plus de cent des nôtres sont morts et errent en ce moment même au Hel, continua de rugir Gandalf. Peux-tu nous ramener au Northland, ou même ça tu n’en es pas capable ? Les hommes recroquevillés contre la coque du drakkar, tenaillés par la faim et la soif, se dégagèrent de leurs couvertures. Gandalf exprimait ce qu’ils pensaient. La mort n’était rien, mais ils craignaient le jugement que les dieux réservaient aux hommes qui meurent sans bravoure : une errance sans fin dans les dédales obscurs du Hel. – Alors Leif ! tonna Gandalf. Peux-tu nous ramener à nos foyers ? |
Le deuxième extrait nous emmène quelques instants auprès d’un personnage inattendu mais qui devient évident à la lecture du roman. Voici un passage entièrement original de l’enfance de Thorgal, un de ces passages qui construisent peu à peu le personnage dans le roman.
Thorgal se recroquevilla derrière la barrique. Il se jura que plus tard, si lui aussi avait une femme, il ne laisserait aucun homme, aucun prêtre-sorcier, ni aucun dieu décider de son sort. Si elle était malade, il resterait près d’elle et la soignerait lui-même. Et si pour cela, il devait cesser d’être un Viking – il souhaitait pourtant si fort qu’on le reconnaisse en tant que tel –, eh bien, tant pis. Leif ressortit de la tente. Les trois hommes échangèrent quelques mots et s’éloignèrent chacun de leur côté. Leif, le pas lourd, prit le chemin de la plage. Thorgal hésita à le suivre puis il se ravisa. Les rues du village étaient quasiment vides. Plus loin, deux hommes fendaient des bûches, une femme accrochait son linge sur les fils qui durant l’été avaient servi à sécher le poisson. Personne ne regardait vers lui. À demi courbé, la tête rentrée dans les épaules, il courut jusqu’à la tente, en écarta les pans et se faufila à l’intérieur. Les joues d’Yvir étaient presque aussi blanches que la neige. Ses paupières étaient closes. Leif l’avait enveloppée dans une de leurs plus belles couvertures, tissée de laine écarlate et azur par Yvir elle-même. À quatre pattes, Thorgal s’approcha de celle qui s’était toujours occupée de lui, du plus loin que remontaient ses souvenirs. Quand Yvir sentit le souffle chaud de la respiration du garçon sur ses joues, elle ouvrit les yeux. – Que fais… Secouée d’une quinte, elle ne put achever sa phrase. Thorgal posa sa main sur les lèvres de sa mère et s’allongea près d’elle. Il cala sa tête au creux de son épaule et se concentra sur sa respiration difficile et sifflante. Au bout d’un moment, il la sentit se détendre. Elle dégagea son bras de la couverture et le passa autour de Thorgal. – Mon fils, murmura-t-elle. |
Le troisième extrait est un passage plus directement inspiré de la BD, montrant comment une scène d’action illustrée peut être tout aussi vivante sous forme de mots. On est ici dans l’une des parties « récréatives » du roman, dans l’aventure et le merveilleux. L’un des premiers frissons aventureux du héros mais aussi sa première incursion dans ces univers parallèles qu’il visitera à de nombreuses reprises.
Il s’étala de tout son long, le nez dans l’herbe bleue. Il n’eut pas le temps d’essayer de se redresser et Tjahzi était trop loin pour lui tendre la main. Il se sentit soulevé du sol. Il agita désespérément les bras et les jambes pour obliger le monstre à lâcher prise, mais entre les doigts du géant, le garçon avait la taille d’une souris. D’une petite souris. – Tjahzi ! cria Thorgal. Au secours ! L’ascension continua jusqu’à ce que Thorgal se retrouve face à la bouche du géant. L’haleine fétide et chaude de la créature l’enveloppa. De près, les dents acérées de Hjalmgunnar étaient encore plus effrayantes. Sa langue, noyée dans la bave, ressemblait à une immense limace. Ses narines tressaillaient comme prises de frénésie. Thorgal porta les mains à ses yeux. Dans quelques secondes, la créature le jetterait dans sa bouche et le croquerait tout cru. Il préférait ne pas voir ça. Tjahzi vit le géant soulever Thorgal de terre et son sang ne fit qu’un tour. Hjalmgunnar et ses frères étaient un des plus effrayants périls pour son peuple. Ils vivaient en bordure du pays du petit peuple, et si un nain voulait franchir la frontière, ils essayaient de le croquer. Il existait, bien sûr, des passages qui permettaient de les éviter, mais il fallait alors traverser des montagnes, des gorges et des souterrains, où les dangers étaient autres mais non moins sérieux. Entre le pouce et l’index du géant, Thorgal se débattait en hurlant. Tjahzi ne pouvait rester sans rien faire. C’était grâce à ce garçon qu’il avait trouvé le métal qui n’existe pas et grâce à lui encore qu’il avait pu rejoindre son territoire. Sans plus réfléchir, il prit la pioche attachée à sa ceinture, la souleva et, de toutes ses forces, l’abattit sur le gros orteil de Hjalmgunnar. |
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